Oneohtrix Point Never
Garden Of Delete
- Warp Records
- 2015
- 45 minutes
Je vous ai parlé déjà quelques fois dans ces pages du musicien américain Daniel Lopatin, alias Oneohtrix Point Never. Même si ses habiletés techniques et ses approches subversives ont toujours eu mon admiration, j’ai en général été sévère avec le résultat musical des compositions où il empile les sonorités kitch et désuètes d’une façon qui ne peut être qu’ironique. Cet automne, il a annoncé le lancement du présent album au moyen d’une amusante et complexe chasse au trésor absurde qui comprenait entre autres un jeune extra-terrestre congestionné, un inquiétant cas de puberté perpétuelle, et un groupe de nü-metal fictif du nom de Kaoss Edge (dont la présence sur le web est aussi détaillée que louche). Ma crainte avec Garden Of Delete était que l’histoire se répète, car un album morne présenté avec un clin d’œil ou un concept promotionnel amusant ne devient pas agréable à écouter comme par magie.
Quelque chose s’est manifestement passé depuis R Plus Seven, l’album précédent, et Daniel Lopatin nous présente cette fois son album le plus invitant et instantanément agréable à ce jour. Ça ne signifie pas du tout que Oneohtrix Point Never est maintenant un projet pop grand public. Ses compositions vont encore dans toutes sortes de directions et prennent encore des virages franchement cauchemardesques, mais le musicien ne cache plus toutes ses intentions derrière un voile d’ironie. Ça pourrait s’expliquer par sa tournée avec Nine Inch Nails et Soundgarden (en remplacement de Death Grips, après leur hara-kiri), qui l’a fait jouer devant des milliers de gens intéressés par une musique plus viscérale que cérébrale. Peut-être aussi que l’ascension du purple sound et d’artistes comme Sophie et l’écurie de PC Music ont démontré que l’approche du recyclage d’atrocités sonores peut servir à créer une musique simplement festive et enjouée.
Avec R Plus Seven, OPN délaissait la méthode très répétitive et ambiante de ses albums précédents pour créer des patchworks de timbres sonores qui changeaient continuellement, sans progression claire. Les pièces de Garden Of Delete restent rarement sur une même idée bien longtemps elles aussi, mais on sent que Lopatin tient enfin à faire un pas vers l’auditeur et à lui offrir un plaisir plus concret, dans des pièces ficelées d’une façon légèrement plus conventionnelle. Les mélodies sont souvent émotives, même quand elles passent par une voix 8-bit dans Sticky Drama et Animals, ou par un orgue MIDI dans Freaky Eyes. Des rythmes endiablés presque «trance» font surface ici et là, pour être entrecoupés de trames sonores de jeux vidéo, de solos de guitare manipulés, et de relents de smooth jazz qui ne sont pas sans rappeler le travail récent de Flying Lotus.
Peut-être que je suis dupe et que ce qui me plaît si immédiatement n’est en fait que l’enthousiasme maladroit et simpliste du début de l’adolescence, que Lopatin reconnaît en lui-même et qu’il recontextualise de façon ironique aujourd’hui. Même si c’est le cas, j’accepte volontiers d’être dupe. Je ne vais pas renier mon plaisir parce qu’un album peut être apprécié au premier degré encore plus qu’au deuxième.
Ma note: 9/10
Oneohtrix Point Never
Garden Of Delete
Warp Records
45 minutes
[youtube]https://youtu.be/td-e4i2BL_Q[/youtube]