Tim Darcy
Saturday Night
- Jagjaguwar Records
- 2017
- 36 minutes
Principalement connu pour son rôle de chanteur et guitariste du groupe post-punk Ought, Tim Darcy ne cesse de multiplier les projets parallèles depuis quelque temps. Après sa collaboration avec Charlotte Cornfield et un album franchement bizarroïde avec l’improvisatrice sonore Andrea-Jane Cornell, le voici qui arrive avec un premier disque solo, Saturday Night, aux accents folk-rock et americana.
La voix de Darcy, avec son côté un peu désinvolte à la David Byrne, est bien sûr un des principaux éléments caractéristiques du rock fiévreux et engagé d’Ought. Mais elle s’exprime ici avec un peu plus de liberté, explorant des contrées que le chanteur d’origine américaine, mais Montréalais d’adoption ne pourrait pas se permettre avec son groupe. On le découvre en folk-garage sur la chanson Tall Glass of Water, en country sur Joan Pt 1, 2 et même en crooner sur Still Waking Up, sans oublier son versant sombre sur la balade mystérieuse What’d You Released?
Les pièces de Saturday Night ont été enregistrées sur une période de six mois qui a coïncidé avec les séances de Sun Coming Down, le deuxième album d’Ought sorti en 2015. Musicalement, les deux projets s’abreuvent à des influences différentes, même si l’on reconnaît les guitares dissonantes et la pulsation lourde d’Ought sur la pièce-titre. Le plus grand contraste réside dans le ton, moins pessimiste ici, ce qui donne des rythmiques plus légères, presque dansantes. Le son est volontairement sale, granuleux, et semble sorti d’une autre époque. On pense au Velvet Underground pour le folk lo-fi et à Syd Barrett pour l’esthétique brouillonne…
La poésie de Darcy, elle, demeure énigmatique. Sur Tall Glass of Water, il se fait philosophe en interrogeant l’auditeur :
« If at the end of the river
There is more river
Would you dare to swim again?
– Tall Glass of Water »
Puis, il y répond par l’affirmative. Plusieurs des textes de l’album semblent d’ailleurs traversés par cette thématique de l’eau et d’un courant intérieur qui coulerait en nous, sur lequel nous n’avons pas toujours de prise. Le ton est plus personnel que chez Ought, moins engagé.
S’il faut en croire le communiqué de presse accompagnant la sortie de l’album, les chansons de Saturday Night ont été écrites sur plusieurs années et il aura presque fallu convaincre Darcy de la pertinence de les enregistrer. Il en résulte parfois certaines ruptures de style entre les chansons plus abrasives, comme l’instrumentale First Final Days, et les balades acoustiques à la Found My Limit. Choix conscient ou non, les titres accrocheurs se retrouvent en début de disque, alors que la face B est plus expérimentale, avec pour fil conducteur une ambiance intimiste.
Si les amateurs d’Ought n’avaient pas à être convaincus du talent de Darcy, on en découvre ici toute l’étendue, avec une force et une maturité étonnante pour un auteur-compositeur de cet âge. Saturday Night se révèle être un album intemporel qui réussit à faire le pont entre la poésie romantique d’un Morrissey et les guitares rutilantes des Strokes. Une des plus belles propositions en ce début d’année…
Ma note: 8/10
Tim Darcy
Saturday Night
Jagjaguwar
36 minutes