
Turnstile
NEVER ENOUGH
- Roadrunner Records
- 2025
- 45 minutes
Quand on évoque la scène punk actuelle, on a tendance à s’éparpiller, surtout à l’époque de la fin de la monoculture. On peut choisir le punk dit de l’époque post-Brexit d’IDLES, le punk teinté de prog-rock de black midi, ou encore le post-punk du groupe irlandais Fontaines D.C.. Un groupe, en revanche, qui a réussi à se tailler une place de choix, un siège tout en velours rouge : Turnstile. GLOW ON, qui avait été l’album les ayant ouverts à de nouveaux sommets, les guitares, les batteries, les grooves, c’était du SOLIDE. NEVER ENOUGH, leur dernier album, s’annonçait déjà pour être une nouvelle étape pour le groupe, du moins sur le papier, puisqu’il arrivait dans le contexte de deux changements majeurs dans le groupe, soit le départ du membre fondateur Brady Ebert et l’arrivée officielle dans les crédits de la guitariste Meg Mills. Qui dit : changement, dit évidemment que rien ne sera comme à l’époque de GLOW ON, et grand bien cela me fait.
On voit immédiatement qu’on a franchi un nouveau cap. La chanson-titre, NEVER ENOUGH, surprend d’emblée avec sa remarquable complexité, car elle démarre avec des synthétiseurs planants couplés avec des paroles pour le moins positives : « It’s never enough love ». Et ensuite, ça part dans un solo de guitare qui déclenche le premier de plusieurs « headbangs » que l’album offrira. Cette présence des synthétiseurs, elle se démarque également durant le pont de SOLE, morceau suivant très axé sur une rythmique pop et des vocalises faciles à reproduire aux concerts. Ne manquez pas votre chance (si jamais ils passent à Montréal, bien sûr!). Il en va de même pour LIGHT DESIGN ou encore le début de BIRDS : allégeant ou oppressants, ils s’immiscent habilement dans les compositions mettant en vedette la fameuse guitare électrique, qui, elle, est la star incontestée du disque.
Il est vrai qu’on ne sait pas toujours où donner de la tête, tellement le groupe s’autorise des sorties de terrain inattendues. À un moment, on aura droit à un festival d’agressivité sur SUNSHOWER : soudain, on tombe dans un interlude à la flûte… Qu’est-ce qui s’est passé? C’est Ennio Morricone qui a repris forme? Ce genre de rêve auditif, ça force tout mon respect, même si, dans le cas présent, c’est vrai que c’est un peu long. Cela dit, ça n’a rien à voir avec la prochaine piste et également la plus longue de l’album : LOOK OUT FOR ME. À la fin, on dirait qu’on est passé à travers les portes du paradis, en plein dans de la musique électronique ambiante. Certes, ça risque de faire hausser les sourcils à quelques fans : « C’est bien Turnstile que j’écoute »? Oui, c’est eux, et c’est d’autant plus intéressant qu’ils réussissent à se réinventer. C’est dommage, en revanche, que ces propositions originales soient ensuite jalonnées par d’autres morceaux qui, eux, tombent plutôt dans le générique et le déjà-vu. Autant pour SEEIN’ STARS, ça marche assez bien, autant que les deux derniers morceaux, TIME IS HAPPENING et MAGIC MAN, malgré le désir de nous laisser sur une note inspirante, ont moins d’entrain que ce qu’on a pu entendre auparavant.
Du côté des performances vocales, même si on note beaucoup de vocalises se frottant dangereusement aux frontières de l’aréna rock (compliment ou pas, à vous d’en juger). Pour le coup, ça ne me laisse pas toujours insensible. Peut-être est-ce grâce au charme de la voix de Brendan Yates, peut-être est-ce le don du groupe de triturer les mélodies pour les rendre parfaitement synchronisées avec chaque instrument, chaque parole et chaque note. Dans un sens, c’est ce mélange des genres et des points de vue qui avait fait la force de Poppy sur son dernier album, Negative Spaces. Dans la vie, on peut être un expert à allier le meilleur de plusieurs genres, ou bien se planter complètement et créer un projet trop complaisant pour son propre bien. Les membres de Turnstile, au moins, savent comment s’unir et rester fidèle à leur art, et c’est rafraichissant.
Est-ce qu’il y a, alors, une évolution artistique par rapport à leur précédente musique? Peut-être pas totalement. Comme mentionné plus tôt, il y a un désir de ratisser large et de probablement toucher un public plus éclectique, mais je ne pense pas non plus que le groupe stagne pour autant. Il y a un désir d’affranchissement par rapport à leur musique d’antan, et à l’image de la pochette, ciel bleu bordé d’un arc-en-ciel, sky’s the limit.