Suuns
The Witness
- Joyful Noise Recordings / Secret City Records
- 2021
- 38 minutes
Chaque album de la formation montréalaise SUUNS est un exercice d’équilibre. Logeant entre le krautrock, l’électro et le minimalisme, la musique du groupe oscille entre l’abstraction et le concret, parfois insaisissable, parfois hypnotique. Avec The Witness, le quatuor devenu trio offre un disque plus organique, moins dense et surtout moins sombre. Le résultat se veut moins intense, mais plus accessible.
Créé en 2020 dans un contexte de pandémie, The Witness témoigne d’un changement d’attitude dans la façon d’opérer de SUUNS, du moins s’il faut en croire le groupe lui-même. Ainsi, le trio dit avoir adopté une mentalité jazz sur ce cinquième album, cherchant à garder une atmosphère semblable du début à la fin, comme le confiait récemment Joe Yarmush : « C’était une décision consciente de faire que l’album sonne comme une seule chanson. Nous voulions nous calmer un peu ».
Ce désir de retenue n’est pas nécessairement nouveau de la part de SUUNS. Même si sa musique peut paraître labyrinthique et touffue, le groupe a toujours su cultiver l’art de la patience, avec souvent un ou deux motifs mélodiques par chanson, avec l’accent qui est mis davantage sur l’aspect rythmique. Par contre, on a le sentiment que les choses respirent davantage sur The Witness. Les textures sont plus aérées, avec même quelques notes de guitare acoustique qui émergent sur Go to My Head.
Il y a peut-être quelque chose de circonstanciel à ce désir de faire plus simple. Depuis 2018, Max Henry n’est plus membre à part entière du groupe (il collabore néanmoins sur trois morceaux ici) et le chanteur-guitariste Ben Shemie vit désormais à Paris, ce qui doit nécessairement compliquer les choses quand vient le temps de s’échanger des idées. En optant pour une approche davantage dépouillée, le trio s’est ainsi donné une plus grande marge de manœuvre pour expérimenter avec les ambiances.
The Witness touche particulièrement la cible lorsque ce désir d’un son plus épuré se conjugue avec une certaine tension dramatique pour éviter de tomber dans quelque chose de trop statique. Witness Protection se révèle diablement efficace grâce à une progression subtile qui amène la musique vers une ambiance plus inquiétante, tandis que la pulsation s’alourdit et que les couches de synthés s’assombrissent, avant de s’achever sur une finale calme, où la voix de Shemie se fait plus chaleureuse, malgré les effets qui la modifient. The Trilogy, en fin de parcours est, elle aussi excellente, avec un côté minimaliste dans les motifs de claviers qui évoque d’ailleurs le travail de Shemie en solo, comme sur A Single Point of Light, lancé l’an dernier.
Il y a néanmoins des moments où cette quête d’une musique plus intuitive verse dans un excès de langueur. À plus de sept minutes, la chanson d’ouverture Third Stream met du temps à se mettre en marche et débouche sur une finale un peu mièvre, malgré l’anticipation qui la précède. Clarity manque elle aussi de dynamisme, en dépit de sa mélodie vocale ondulante et de la présence du saxophoniste Eric Hove.
SUUNS avait déjà donné des signes de vouloir en faire un peu moins. Ainsi, l’album Felt, paru il y a trois ans, était déjà moins sombre que le précédent Hold/Still, même s’il bénéficiait d’une plus grande variété dans les dynamiques que sur The Witness. Cela dit, si l’objectif premier était de faire un disque plus cohésif et peut-être aussi plus relâché, le pari est réussi, avec encore une fois un habile travail de Jace Lasek (The Besnard Lakes) à la prise de son et de John Congleton au mixage.
Malgré ces quelques bémols, The Witness offre un éclairage nouveau sur la démarche créative de SUUNS, qui peut parfois être obscurcie par le travail d’assemblage savant qui caractérise leur musique. Si je les préfère en mode plus dense et moins linéaire, c’est un album qui pourrait bien leur faire gagner de nouveaux adeptes.