Critiques

Shame

Food For Worms

  • Dead Oceans Records
  • 2023
  • 43 minutes
7

Après le puissant Songs of Praise (2018) et le labyrinthique Drunk Tank Pink (2021), la formation londonienne Shame avait quelque peu envie de rebrasser ses cartes créatives, semble-t-il. Dans le communiqué de presse remis par la maison de disques Dead Oceans, le chanteur Charlie Steen affirmait avec humour qu’il considérait le nouveau long format du quintette comme étant « la Lamborghini des albums de Shame ».

Une chose est certaine, ce Food For Worms, enregistré en direct en studio sous la férule du réputé réalisateur Flood, marque un tournant pour le groupe. Sans reléguer complètement le post-punk hargneux qui le caractérisait lors des deux opus précédents, le groupe prend des risques en réunissant l’ensemble de ses éclectiques influences dans un même album… au point où il est ardu de saisir concrètement la direction artistique empruntée.

Food For Worms est une ode à l’amitié, particulièrement celle qui soude des amis-musiciens lorsqu’ils élaborent des chansons et partent en tournée tous ensemble. Les textes, majoritairement rédigés par Steen, sont une ouverture sur le monde qu’il l’entoure. L’auteur se positionne en observateur empathique de son clan qui a subi plus que sa part d’épreuves au cours des cinq dernières années.

Dans Adderall — pièce où l’on perçoit l’intervention vocale de Phoebe Bridgers —, Steen emprunte le rôle d’un aidant naturel qui administre une médication à un ami, ce qui modifie grandement le comportement de ce dernier :

I can’t let you slip away

It’s not good for your health

If you can barely stay

Around familiar faces

– Adderall

Fingers of Steel, elle, met à l’avant-plan les inévitables frustrations qui surviennent lorsque l’on tente d’accompagner un pote aux prises avec de sérieux problèmes de santé mentale :

You’re complaining a lot

About the things that you got given

You know you’re wasting away

There’s a sun outside but you don’t see it

– Fingers of Steel

Musicalement, l’album réunit des influences de grandes pointures rock comme Radiohead, les Pixies et même Lou Reed. Sans effacer le post-punk explosif que dispensait la formation, ces ascendants amenuisent sensiblement la force de frappe de Shame. La chanson la plus étonnante de ce Food For Worms est sans contredit Orchid. Pour la première fois de sa courte carrière, le quintette débranche les guitares et Steen présente une approche vocale plus posée et harmonieuse.

Les admirateurs de la première heure retrouveront Shame en terrain connu avec l’excellente Six-Pack. Avec sa guitare wah-wah et son rythme frénétique, cette pièce est une franche réussite. Et c’est dans The Fall of Paul qu’on décèle réellement la performance « live » offerte par la formation. En fait, même si le groupe joue ses nouvelles chansons en direct en studio, on ressent plus ou moins l’énergie contagieuse que Shame communique si bien lorsqu’il offre un concert.

Ici, on salue bien bas l’audace de la bande qui n’a pas craint de retrousser ses manches afin de modifier sa trajectoire sonore. Sans être un échec, tant s’en faut, Food For Worms est une création entre deux chaises qui laisse peut-être présager une réelle transformation pour la formation britannique.

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