Critiques

drunk tank pink

Shame

Drunk Tank Pink

  • Dead Oceans Records
  • 2021
  • 42 minutes
8
Le meilleur de lca

Il y a trois ans déjà que la formation post-punk Shame nous proposait l’excellent Songs of Praise. Le ton grinçant du chanteur Charlie Steen, combiné aux explosions de guitares et à une section rythmique béton, en avait convaincu plus d’un.

Mais ce qui différencie le groupe de ses semblables est l’approche vocale et l’interprétation sentie de Steen; un sosie corporel de John Lydon (Public Image Limited, Sex Pistols). On souhaite quand même à Steen un vieillissement plus serein que son compatriote…

Réalisé par James Ford (Test Icicles, Arctic Monkeys, Klaxons) et enregistré au studio La Frette situé en banlieue de Paris, Shame revient à la charge avec Drunk Tank Pink.

Les chansons de ce nouvel album ont été élaborées dans une maison localisée en périphérie de Londres. Après la trépidante tournée qui a suivi la parution de Songs of Praise, Steen et ses acolytes ont sombré dans un état psychologique inquiétant. Voilà ce que le chanteur avait à déclarer à ce sujet : « The common theme when I was catching up with my mates was this identity crisis everyone was having. No one knows what the fuck is going on ».

Avec des moyens financiers accrus pour se procurer du matériel d’enregistrement décent, le groupe a pu prendre son temps pour écrire et composer des chansons pleinement achevées, délaissant ainsi les improvisations et l’instantanéité qui caractérisait l’approche épousée sur Songs of Praise.

Les structures chansonnières sont plus complexes et les arrangements demeurent somme toute minimalistes. S’appuyant sur l’habituelle formule « guitares-basse-batterie », ce sont les subtils claviers qui fertilisent le son d’ensemble proposé par Shame.

Drunk Tank Pink oscille entre un post-punk plus accessible — influencé par Talking Heads (Nigel Hitter) et le Bowie de la trilogie berlinoise (Human, for a Minute) — et un punk rock plus décapant. Dans Alphabet, les sirènes de guitares, nerveuses et saccadées, sont magnifiquement oppressantes… et on reçoit le refrain comme une droite en pleine gueule, égarée dans un mosh pit ! Parmi les autres ascendants décelés, on y entend du Talk Talk, époque The Colour of Spring, et même du Devo.

Ce qui épate sur ce nouvel album, c’est l’inébranlable cohésion du quintette qui mise avant tout sur le talent de chacun des instrumentistes. Drunk Tank Pink est un disque plus ambitieux et plus domestiqué, mais qui refuse la stagnation créative. C’est le signe probant d’un groupe qui pourrait bien, un de ces quatre, produire un grand disque… si Shame demeure en vie, bien entendu.

Parmi les moments purgatifs par excellence, on a adoré March Day; pièce qui décrit à la perfection une crise d’anxiété en gestation. La performance de Steen dans ce crescendo compulsif que constitue Station Wagon est à couper le souffle. Great Dog et 6/1 sont drastiquement punks, sans verser dans l’insignifiance, et la conclusion de Born in Luton est un véritable débordement de frissons.

Cette nouvelle création est moins furieuse que Songs of Praise et ce n’est pas étranger au fait que le quintette ait choisi d’embrasser de nouveaux horizons sonores. Shame hisse ses chansons à un niveau créatif supérieur et expurge, avec une colère maîtrisée, le passage à vide psychologique qu’il a vécu.

La trame post-punk idéale pour ce long hiver à venir…