Trois ans après nous avoir offert le très beau Les choses extérieures, Salomé Leclerc remet ça avec un quatrième album qui emprunte le chemin tracé par le précédent, mais avec plus de contrastes dans les arrangements. Non seulement Mille ouvrages mon cœur confirme le talent de l’auteure-compositrice-interprète, mais il s’inscrit comme l’une des plus belles parutions de chanson francophone cette année.

Après avoir porté presque tous les chapeaux sur Les choses extérieures, de l’écriture jusqu’à la réalisation, Salomé Leclerc s’est adjoint cette fois-ci les services de Louis-Jean Cormier à la console. Il en résulte un album où la vulnérabilité de la musicienne reste le point d’ancrage, mais avec des musiques un peu plus expansives, appuyées par de magnifiques arrangements de cordes et de cuivres (excellente La vie parfois, avec cor français et tuba), et quelques titres qui rockent un peu plus.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est bel et bien Salomé Leclerc qui est en charge du projet. Non seulement elle a écrit et composé les 12 titres, mais elle joue de presque tout. Je ne sais pas si le désir d’exercer une telle mainmise sur sa musique témoigne d’un besoin d’en contrôler tous les paramètres, mais force est de constater que ça la sert bien. Sa vision est claire, sans compromis. Même la « marque » Audiogram ne semble pas lui coller à la peau, elle qui semble peu encline à offrir des chansons conçues en fonction de leur potentiel commercial ou radiophonique.

Salomé Leclerc a toujours été une mélodiste de talent et ça se confirme sur Mille ouvrages mon cœur. Le rythme en trois temps de Tes yeux à Barcelone lui permet d’offrir une mélodie ondulante sur un air de valse, tandis que l’accompagnement alterne entre couplets intimistes et envolées orchestrales. On sent aussi qu’elle s’est permis un peu plus de libertés en matière de structure chansonnière. Elle n’hésite pas, par exemple, à interrompre le rythme brusquement pour mieux nous surprendre avec une nouvelle inflexion mélodique, comme sur Mon cœur à l’endroit, lorsqu’elle passe du couplet au refrain en ralentissant le débit juste quelques instants.

Parlant de structures peu communes, la magnifique Où on s’est trouvé s’impose sans contredit comme la chanson plus puissante de ce nouvel album. Là encore, Salomé Leclerc joue avec la forme chansonnière en multipliant les changements de tempo, avec une montée d’intensité en milieu de parcours qui nous amène en territoire plus rock. Sur Cinéma aussi, elle brouille la frontière entre couplet et refrain, tandis que l’un se fond dans l’autre grâce à une montée orchestrale bien sentie.

Sur le plan des textes, l’univers de Salomé Leclerc demeure sombre et résolument introspectif. Si on aimerait parfois la voir varier les ambiances, cette uniformité de ton renforce aussi sa signature musicale. Sur Rue Messier, elle aborde la difficulté de quitter un appartement et les souvenirs qui s’y trouvent, tandis que la bouleversante Tes voyages parle de la mort d’un être cher et le vide qui s’ensuit :

« Quand le ciel se plombe

Je le prends sur mon dos

T’es là en haut

Tu me manques autant que ça

Mais y’a ici tout ce qu’il faut

Pour que la mort ne gagne pas ».

– Tes voyages

Même si elles ressortent moins du lot, les quelques ballades plus intimistes (Chaque printemps, 12 heures plus tard) viennent faire un contrepoids aux morceaux plus « arrangés ». Au final, Mille ouvrages mon cœur s’avère un disque plus diversifié que Les choses extérieures, mais en même temps plus cohésif que 27 fois l’aurore, qui lorgnait sur l’électro par moments. Avec tout ça, on s’étonne que Salomé Leclerc ne jouisse pas de la même visibilité que d’autres auteures-compositrices-interprètes au Québec, tant en termes de diffusion radio que de présence sur les plateaux télé. Qu’à cela ne tienne, elle s’est créé son propre monde et c’est tant mieux.