Paru plus tôt cet automne, Électrons libres du Québec de Population II est un bijou de rock psychédélique aux effluves stoner metal. Le trio originaire de Saint-Eustache avait déjà impressionné les amateurs de rock cosmique il y a trois ans avec l’excellent À la Ô Terre et ce deuxième album vient confirmer sa place parmi les formations les plus intéressantes et pertinentes sur la scène alternative québécoise.

Le contexte est idéal pour revenir sur ce disque sorti en octobre dernier puisque le trio vient de rafler le titre de Révélation de l’année (ex-aequo avec La Sécurité) au tout récent Gala alternatif de la musique indépendante du Québec (GAMIQ). Un honneur mérité même si Population II roule en fait sa bosse depuis plus de cinq ans. En ce qui nous concerne, la révélation s’est déjà produite en 2020 lorsque le groupe a été repêché par le label Castle Face de John Dwyer (Osees), lui offrant une crédibilité à l’international mais un succès étonnamment confidentiel chez nous.

Or, Population II fait désormais partie de l’écurie Bonsound et le label montréalais a fait un travail colossal pour promouvoir le groupe et le sortir de l’ombre, avec comme résultat que Le Devoir et La Presse se sont vite entichés de ce nouvel album, qualifié par le distingué collègue Philippe Renaud de « plus impétueux et déchaîné encore » que le premier. Même le Canada anglais est tombé sous le charme avec une critique élogieuse dans Exclaim!, un exploit rarissime pour un artiste franco.

Comme le veut le dicton, on ne change pas une recette gagnante et c’est sans surprise que le trio a de nouveau fait appel au toujours fiable Emmanuel Éthier à la réalisation. Celui-ci y va même de quelques notes de violon sur la décapante Réservoir, une ode à l’environnement sous forme de critique de notre propre indifférence face à la crise :

Encore il y a l’eau qui coule
En 2020 elle est presque épuisée
Tous ces gens me semblent sourds
Et même j’oserais dire qu’ils sont hydratés.

– Réservoir

Si À la Ô Terre constituait un savant mélange de rock psychédélique, de space rock et de krautrock, avec une influence de Pink Floyd de l’époque A Saucerful of Secrets, Électrons libres du Québec élargit la palette sonore du trio en lorgnant davantage du côté du metal pesant à la Black Sabbath et même du free jazz. Oui, c’est éclaté mais tout se tient grâce à la maîtrise technique du batteur-chanteur Pierre-Luc Gratton, du guitariste Tristan Lacombe et du bassiste Sébastien Provençal, qui alternent avec brio entre des sections complexes qui s’approchent un peu plus du prog et d’autres où l’esprit d’improvisation et l’expérimentation sonore règnent en rois.

Mais la plus grande force d’Électrons libres du Québec réside dans cette capacité à combiner des musiques champ gauche avec des refrains accrocheurs, en particulier sur la merveilleuse C.T.Q.S., avec son solo de guitare à la King Crimson, et surtout la brillante Pourquoi qu’on dort pas en fin de disque. Ce sens de la mélodie était présent sur À la Ô Terre mais il ne s’exprimait pas avec autant d’éloquence.

Même si le son de Population II évoque à priori des influences anglo-saxonnes, la nature et l’identité du groupe s’inscrivent dans une large tradition de musiques contre-culturelles ayant profondément marqué l’histoire du Québec, depuis L’Osstidcho de Charlebois et compagnie jusqu’au rock garage des Sinners en passant par le Quatuor de Jazz libre du Québec, L’Infonie et la vague de groupes prog des années 70 tels que Maneige, Sloche ou Vos Voisins. On peut même voir un hommage à Raôul Duguay dans cette façon d’écrire des titres comme Tô Kébec et C’t’au boute.

En d’autres mots, Électrons libres du Québec est sans contredit un des meilleurs albums rock parus au Québec ces dernières années et aussi une des propositions les plus riches et franchement excitantes de 2023, tous styles confondus.