Critiques

Okkervil River

In The Rainbow Rain

  • ATO Records
  • 2018
  • 46 minutes
4

S’il y a un album de la décennie 2000 que je vous conseille fortement d’écouter, c’est le sublime Black Sheep Boy (2005) de la formation états-unienne Okkervil River. Un album aussi explosif qu’à fleur de peau. Cette réussite est due en grande partie à l’interprétation sentie et à la poésie du chanteur, et principal compositeur du groupe, Will Sheff. Avec les excellents The Stage Names (2007) et The Stand Ins (2008) – parutions qui ont suivi le « classique » mentionné précédemment – vous aurez dans les oreilles le climax de la carrière d’Okkervil River.

Évidemment, comme tout bon groupe rock, la suite s’affadit quelque peu. 2011 : le moyen I Am Very Far. 2013 : le correct The Silver Gymnasium. En 2016, le groupe s’adjoignait les services du réalisateur Jonathan Wilson (Father John Misty) afin de nous proposer Away; disque nettement plus peaufiné qu’à l’accoutumée. On pouvait quand même y déceler un certain regain de vie créatif.

La semaine dernière, Okkervil River revenait avec un nouvel album intitulé In The Rainbow Rain. Après la sortie du plus récent effort, Sheff a eu envie de renouveler l’effectif de la formation. Il s’est donc dissocié de quelques « vieux » membres dans le but avoué d’emprunter une nouvelle direction musicale. Au cours de l’année 2016, le poète a dû prendre soin de son grand-père souffrant, non sans avoir commencé sporadiquement à enregistrer de nouvelles chansons avec ses nouveaux musiciens. Tout ce beau monde a donc repris le boulot au cours de l’année 2017, tout en testant le nouveau matériel sur scène, en ouvrant entre autres pour The War on Drugs… et cette association scénique n’est pas étrangère au « nouveau son » d’Okkervil River.

In The Rainbow Rain est la rencontre prévisible entre le soft-rock FM états-unien et la pop britannique des années 80.  La jonction de ces deux univers est loin d’être réussie. Ce nouvel album est, musicalement parlant, le pire album de la discographie du groupe. Oubliez le folk-rock urgent des débuts. Oubliez l’interprétation inharmonieuse et émouvante de Sheff. Ne reste que la poésie de l’auteur. Puisqu’on a affaire ici à un assemblage de chansons – communément appelé « disque » – je me dois de juger cette nouvelle parution pour ce qu’elle est.

Au risque de déplaire à ceux qui les adulent encore, Okkervil River, sans la hargne vocale de Sheff, sans les quelques guitares explosives, sans le folk-rock émouvant, perd sérieusement de sa pertinence. Surtout quand le groupe se prend pour The War on Drugs. L’exemple le plus probant est assurément la quasi-copie de la pièce Pain – extrait du tout dernier-né de la bande à Adam Granduciel, A Deeper Understanding – intitulé Pull Up the Ribbon. Assez navrant.

Quelques chansons correctes passent la rampe : l’extrait Don’t Move Back to L.A. et le dramatique crescendo qui conclut Human Being Song. Et ça s’arrête là. Parmi les morceaux insupportables ? Shelter Song me remémore le jingle d’une légendaire compagnie de papier de toilette que j’éviterai de nommer, si vous le voulez bien. Le saxophone indigeste dans Family Boy a profondément écorché mes oreilles.

J’ai toujours eu un énorme respect pour le poète et chansonnier qu’est Will Sheff, et ce, malgré le présumable déclin des dernières productions. Mais cette fois-ci, je me casse. Quand un groupe emprunte l’identité sonore à une formation qui obtient un certain succès de masse pour conquérir un hypothétique nouveau public, je passe mon tour.

L’album « tisane à la camomille » de l’année.