Milk & Bone
Chrysalism
- Bonsound
- 2022
- 43 minutes
Après deux albums acclamés par la critique et teintés d’une pop mélancolique aux accents lancinants et sensuels, le duo montréalais Milk & Bone accélère le rythme sur Chrysalism, son disque le plus dansant et le plus léché jusqu’à maintenant. Si les textes continuent d’explorer des émotions parfois sombres, les musiques explosent et scintillent de partout, assumant leur côté pop grand public sans gêne.
En un sens, la musique de Milk & Bone, formé des multi-instrumentistes et autrices-compositrices-interprètes Laurence Lafond-Beaulne et Camille Poliquin, a toujours été pop, tant dans ses structures que dans son approche mélodique. Sauf qu’elle se voulait davantage feutrée, avec des arrangements électroniques voués à construire des atmosphères plutôt que des beats. On a catégorisé le duo comme de l’indie pop, une étiquette un peu réductrice, et les accolades ont suivi (deux nominations sur la longue liste du prix Polaris, des prix aux GAMIQ ainsi qu’aux Junos, etc.)
Mais voilà, les deux complices ont toujours eu envie de danser, et elles ont trouvé le partenaire idéal en la personne de Micah Jasper, un réalisateur basé à Los Angeles et qui a notamment travaillé avec des artistes comme ELIO et Rebecca Black. De l’aveu du duo, cette rencontre s’est avérée déterminante pour construire l’identité de ce troisième album. « Il travaille avec les gens qu’on aime, il aime les mêmes choses que nous, il a les mêmes références », disait récemment Camille Poliquin en entrevue avec La Presse, avec pour résultat qu’on entend de nouvelles influences sur Chrysalism, en particulier Charli XCX mais aussi Grimes sur son album Art Angels.
Musicalement, ce nouvel album fait donc une large place aux chansons accrocheuses et rythmées, comme en témoignent d’ailleurs les explosives Bigger Love et Borders en ouverture. Le contraste avec le précédent Deception Bay (2018) est frappant dès les premières mesures : les voix sont plus affirmées et plus en avant dans le mix, les sonorités sont cristallines, et la production, elle, est plus soignée et éclatante.
On sent aussi que les deux musiciennes ont accordé une importance primordiale aux refrains, dont les accroches sont clairement identifiables. La recette varie toutefois d’une chanson à l’autre. Sur Movies, par exemple, le refrain arrive d’abord en délicatesse, soutenu par des accords de guitare acoustique, puis gagne en intensité au gré des répétitions pour devenir un hymne qu’on entonne en chœur.
La conception de Chrysalism a bien sûr été influencée par la pandémie, qui a permis à Camille Poliquin et Laurence Lafond-Beaulne d’explorer d’autres projets individuels, mais qui les a aussi confrontées à leur propre solitude (comme nous tous). Ainsi, le thème de la distance est évident sur Borders (« I’m coming over, across that border / Got nothing to declare / Except for this sharp despair / Coming to you completely bare »), tandis que Time Alone aborde l’apparente contradiction entre le sentiment amoureux et la nécessité de se retrouver seul(e) parfois :
« I need a break, you give me face
I want some space, you plead your case
Now tell me how am I supposed to feel
When somehow you keep breaking our deal ».
– Time Alone
En adoptant un nouveau lexique plus ouvertement pop, Milk & Bone emprunte à des techniques qui peuvent sembler plus génériques. En général, la force des morceaux et la qualité de l’écriture permettent au duo d’aller au-delà des conventions, comme sur la puissante Object of Fun. À quelques reprises toutefois, on sent davantage la recette, entre autres dans le type de filtre ou d’effet appliqué sur les voix, par exemple sur la quelconque Piggyback, ou la ballade City Girls en fin de parcours.
Au final, la démarche de Milk & Bone me rappelle celle du duo britannique Let’s Eat Grandma, qui a lui aussi d’abord développé une synth-pop mélancolique et sombre avant d’assumer entièrement ses inclinations pop sur son troisième album Two Ribbons, paru plus tôt cette année. C’est peut-être un effet de la pandémie, qui a donné à tout le monde l’envie de danser, ou sinon c’est le résultat d’un cheminement naturel de la part de musiciennes qui grandissent et qui décident de laisser libre cours à leur inspiration, et ce peu importe l’étiquette qu’on leur accolera.