Critiques

Jusell, Prymek, Sage & Shiroishi

Fuubutsushi (風物詩)

  • Cached Media
  • 2020
  • 39 minutes
8
Le meilleur de lca

Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais il y a présentement une pandémie mondiale qui affecte le milieu de la production musicale. Cached Media, une plateforme multimédia de partage culturel basée à Chicago l’a bien compris et a mis en oeuvre, dans les derniers mois, un projet de collaborations musicales entre artistes confinés, le tout disponible sur Bandcamp. Fuubutsushi est la seconde entrée de cette série.

L’album allie les talents de quatre musiciens : Chris Jusell, un violoniste, Chaz Prymek, un guitariste, Matthew Sage, percussionniste et claviériste, et finalement Patrick Shiroishi, saxophoniste, clarinettiste, flûtiste et glockenspieliste, si le terme existe. Les quatre se partagent aussi à divers degrés l’intégration d’échantillonnages, de sifflements et de fredonnements. Ils enregistrent ici officiellement leur premier projet tous ensemble, enregistrement effectué à partir de quatre états américains différents via la magie d’Internet et des studios maisons. Le projet a donc déjà de quoi susciter l’intérêt, mais il ne faut pas s’arrêter là.

Le titre est assez intéressant lui aussi. Qu’est-ce qu’un « fuubutsushi » ? Un plat typiquement japonais ? Une parure orientale ? Un animal aquatique nocturne ? Eh bien, dans la tradition japonaise, le terme « fuubutsushi » désigne le caractère d’un objet, d’un élément culturel ou de quoi que ce soit qui évoque et rappelle une saison en particulier avec nostalgie. Et la beauté de l’évocation, c’est qu’elle peut être perçue différemment selon les auditeurs. Pour moi, la musique de Jusell, Prymek, Sage et Shiroishi me rappelle les dernières semaines de l’été, mais on peut aussi percevoir une évolution temporelle dans l’album, avec des références au temps des sucres (Sugar Maple Turn), aux invasions de cigales du milieu de l’été (Cicada Season) ou à la floraison des cerisiers japonais au printemps (Hayao’s Garden). Ça ne prend pas la tête aux biscuits Papineau (RIP) pour faire les déductions suivantes, mais je vous laisse quand même vous faire votre propre opinion là-dessus.

Continuons. Quand je vous mentionnais que cette musique évoque personnellement la fin de l’été, je crois que la sonorisation aide particulièrement. Je dois dire que le travail de mixage et de matriçage est ici assez exemplaire et que les tonalités privilégiées sont très caractéristiques. Les basses sont beaucoup mises de l’avant, permettant une belle résonnance du piano et du saxophone, mais l’ensemble du mix est chaleureux, presque douillet. La proximité de certains instruments vient créer un côté intime aux productions : on se sent tout près des musiciens, même si eux ont enregistré cet album à des centaines de kilomètres l’un de l’autre. Une dichotomie assez intéressante dans les circonstances, surtout en cette ère de cooconing obligé.

Parce que Fuubutsushi est, à mon humble avis, un album feel good. Avec son ton chaleureux et invitant, on se sent mis à l’abri de l’aridité que peuvent parfois présenter certaines sorties expérimentales du genre. Le projet emprunte des éléments au smooth jazz autant qu’au free jazz, à l’ambiant et la musique environnementale japonaise, à la new age, au néo-classique dans le jeu de piano, à la musique concrète et même au minimalisme classique américain style Steve Reich à certains moments (Watch the Time). Ça peut en faire beaucoup pour l’auditeur moyen, on va se le dire.

Sauf que tout est géré de manière particulièrement intelligente sur cette sortie. On commence tranquillement sur deux titres avec un saxophone convivial. À partir d’Along the Causeway, les percussions vont commencer à se libérer progressivement du jeu rythmique de 4/4 traditionnel. C’est moins convenu, mais les mélodies restent dominantes et permettent de s’y accrocher. Les musiciens continuent de tenir l’auditeur par la main : sur la magnifique Cicada Season, c’est maintenant à la musique concrète et aux échantillonnages de faire leur apparition, mais tout doucement, pour éventuellement même arriver à inclure des extraits vocaux sans choquer le moins du monde. Et c’est là que réside la principale qualité de Fuubutsushi : les musiciens se permettent de prendre leur temps. Loin de composer dans l’urgence, ils se donnent le droit de progresser à leur rythme, en restant toujours zen, mais sans sacrifier quoi que ce soit en termes de qualité et ça impressionne. C’est rare de se permettre une aussi belle lenteur et ça fait énormément de bien à entendre!

Réussir à créer une narration aussi étoffée sur un album instrumental n’est pas une tâche facile, surtout dans un travail à plusieurs mains comme celui-ci, mais force est d’admettre que le quatuor relève le défi avec brio. Avec Fuubutsushi, on tombe sur une sortie de niche, oui, mais qui devrait pouvoir plaire à un public relativement large, et ça, ça me fait bien plaisir. Parce que des oeuvres qui arrivent à bien vulgariser plusieurs styles de musique expérimentale d’une aussi belle façon, il ne s’en fait pas des tonnes.

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