Critiques

John Maus

Addendum

  • Ribbon Music
  • 2018
  • 35 minutes
6,5

John Maus, c’est un de ces moments du 20e siècle en musique pop où les limites ne sont ni brisées ni respectées. Lui et Ariel Pink habitent un état de la musique et/ou du cynisme musical très difficile à saisir dans toute sa complexité, et ce surtout depuis leurs derniers efforts, moins « expérimentaux » bien que tout aussi inaccessibles. Depuis We Must Become the Pitiless Censors of Ourselves, Maus place l’auditeur dans une situation délicate en explicitant de moins en moins cette complexité que recèlent pourtant toujours ses propositions formalistes. Avec Songs et Love Is Real, il était aisé pour l’auditeur de comprendre que le propos n’était pas encapsulé dans les moments pastichés de son œuvre, mais bien dans la relation entre ces moments et ceux qui dérogent de l’esthétique prise pour modèle. Le plus récent effort du philosophe et musicien est beaucoup plus cryptique, à l’image des deux précédents : on assiste à un combat dangereux — mais, somme toute, assez plaisant quand on s’y met — entre l’intellectualisation (et, donc, l’intention) et la réception « pure » (et, donc, la musique comme telle).

Avec Addendum, on a l’affirmation de cette esthétique 2.0 de Maus. Prise sans contexte, sa musique est drôle, enfantine, naïve, même « cringe ». Par bouts, ça donne un peu l’impression d’écouter du François Pérusse beaucoup trop assumé (c’est-à-dire les 20 dernières secondes de Dumpster Baby). Il est assez ardu de jouer avec une dimension humoristique en musique, et c’est entre autres pourquoi je soutiens qu’il devient peut-être trop difficile d’apprécier ce que Maus veut faire ressortir dans sa musique. Souvent, l’humour désamorce trop le propos (j’en ai déjà parlé au Canal avec Igorrr, et je pense la même chose pour Frank Zappa ou Satie par exemple), et on sait tous que du propos il y en a en masse en arrière de son œuvre.

Je me permets de dire que je crois qu’il ne réussit pas tout à fait à faire ce qu’il veut avec sa musique. On l’entend, dans des entrevues, dire que sa musique ne réfère pas aux années ‘80 sous prétexte qu’il n’en a jamais écouté, qu’il écoutait Nirvana… Mais ce qui semble connoté, c’est le son des synthés et des boîtes à rythmes, qui sont très peu variés et peu travaillés. C’est d’ailleurs pourquoi ça sonne comme les « eighties »; les synthés étaient si nouveaux dans ce temps-là que la majorité des artistes ne se donnaient pas la peine de personnaliser leur son (ou ne le pouvaient pas, à cause de leurs instruments) comme on peut facilement le faire aujourd’hui avec n’importe quel synthétiseur, autant logiciel qu’analogique. Donc, selon moi, Maus pourrait mieux faire passer son propos sans cette connotation inévitable en travaillant mieux la plasticité de son œuvre, tout en gardant la majeure partie de son esthétique, qui est grandement tributaire des effets excessifs sur sa voix, des modes médiévaux, des patrons rythmiques qu’il utilise et des paroles répétitives, ambiguës et vagues. Fin de mon éditorial.

Mais assez parlé de son esthétique « rétrodystopienne politisée »; qu’en est-il de la musique? Eh bien, comme je l’ai dit plus haut, on reste dans la même lignée que We Must Become et Screen Memories; les mêmes progressions modales ambiguës, les petites basses « kraut », les voix monastiques noyées dans le délai, les rythmes New Wave et les petites « catch phrases » rappelant les slogans de la musique industrielle. Le son John Maus est rendu rodé à souhait, au point où c’est presque un style en soi — certains invoquent la pop hypnagogique —, bien que Maus la récuse, et c’est là où il a le mieux réussi à incarner le paradigme pop. À la limite, on changerait les pièces de place entre les trois derniers albums, et personne ne s’en rendrait compte. Encore une fois, c’est un point de plus pour ce que Maus veut faire, mais un point de moins pour la musique.

Au niveau des mélodies et de l’humour, par contre, je dirais que Addendum est bien meilleur que le précédent, Screen Memories. Je ris à chaque fois que j’écoute Matter of Fact, Dumpster Baby, 1987 et Outer Space tellement les paroles, couplées avec l’ambiance qui les entourent, sont absurdes. Ces pièces figurent d’ailleurs parmi mes préférées de Maus — tout simplement à cause des mélodies, parce que le reste est presque statique pour moi.

Quoi dire d’autre d’ Addendum? Il gagne des points parce qu’il est accrocheur, il en perd parce que le propos passe à moitié ? Que je préfère quand même We Must Become ? Je suppose que c’est tout ce qu’il y a à dire de pertinent, dans la mesure où je ne suis pas certain de réellement pouvoir dresser un portrait digne de ce nom de l’oeuvre de John Maus. En ce sens aussi donc, c’est probablement réussi…