Critiques

How To Dress Well

The Anteroom

  • Domino Records
  • 2018
  • 57 minutes
7

Après la pop élaborée de What Is This Heart? (2014) et la production lisse de Care (2016), l’Américain Tom Krell, connu sous son nom de scène How to Dress Well, revient à ses racines expérimentales sur son nouvel album, The Anteroom. S’il sacrifie une certaine intensité émotionnelle au profit d’une plus grande froideur électronique, il n’en livre pas moins un disque complexe, aux multiples facettes.

Krell s’est toujours distingué par sa capacité à jouer avec les codes de la pop-R&B, sans jamais tomber dans les clichés du genre, enveloppant ses rythmiques de sa voix chevrotante de falsetto, témoignant d’une vulnérabilité qui tranche avec les Weeknd et Post Malone de ce monde. La comparaison peut sembler boiteuse, mais elle illustre à quel point les contours du R&B sont devenus difficiles à définir.

Sur The Anteroom, Krell conserve la basse ronde typique du genre, mais au service d’une musique beaucoup plus ambiante, volontairement plus sombre et déconstruite que ce à quoi il nous avait habitués depuis quelques années. Il délaisse également les orchestrations luxuriantes pour une approche beaucoup plus clinique, misant presque exclusivement sur les synthétiseurs afin de traduire sa vision (pas très positive, faut-il croire) de la vie moderne, de notre rapport au corps et aux autres.

Le disque est construit selon une succession de chansons de format « classique » et d’interludes qui tentent de relier le tout en un ensemble cohérent. Le premier titre, Humans Disguised as Animals/Nonkilling 1, montre tout le talent de Krell pour les structures rythmiques complexes, malgré la simplicité des matériaux (essentiellement sa voix de falsetto et une ligne de synthé). De prime abord, le résultat est déstabilisant, alors que notre pied peine à trouver où battre la mesure. Puis, les textures se précisent et une atmosphère à la fois étrange et enveloppante se développe.

La chanson suivante, Body Fat, constitue peut-être le moment fort de The Anteroom, non seulement parce que la voix de Krell se fait particulièrement touchante, mais aussi en raison de son texte troublant (« There’s still so much pain and anger in your body fat ») dont la signification précise nous échappe. L’ambiguïté est d’ailleurs une des caractéristiques du disque, qui se plaît à combiner les styles et les genres et à déjouer les attentes des auditeurs, quitte à nous perdre en cours de route.

Krell lui-même a affirmé que son intention était de faire « un album de dance ambiant dont le niveau d’énergie ne dépasserait jamais trois sur dix ». C’est particulièrement vrai sur un morceau comme Nonkilling 3/The Anteroom/False Skull 1, où la pulsation rapide contraste avec la texture calme en arrière-plan, tandis qu’une chorale répète le même motif en boucle, créant cette impression d’une musique de danse statique. Ce n’est que vers la fin que The Anteroom s’aventure de plain-pied dans une atmosphère plus lourde, avec des influences de house et de musique industrielle sur False Skull 12 et Nothing, comme un drôle d’hybride entre indie et électro.

The Anteroom s’avère sans contredit l’album le plus expérimental pour How to Dress Well depuis longtemps, avec ses bizarreries électroniques et ses pièces qui s’écoutent davantage comme une suite continue que comme des morceaux individuels. La bonne nouvelle, c’est que ça donne une autre dimension à la pop introspective de Krell, qui s’avère plus sombre et troublée. Sauf qu’il en résulte également une atmosphère plus froide, plus mécanique, qui nous empêche parfois de connecter émotionnellement avec lui. Il s’agit quand même d’un beau retour après la pop trop lustrée de Care, même si c’est un peu en dessous du niveau de What Is This Heart?

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