Fred Fortin
Ultramarr
- Grosse Boîte
- 2016
- 37 minutes
Je ne m’en cacherai pas. Fred Fortin fait partie de mes musiciens kebs prisés. Demandé, fort occupé et totalement respecté par ses pairs, Fortin est un talent supérieur. Rockeur de haut niveau, ce gars-là s’évertue à nous offrir depuis plus de 20 ans de la musique de qualité, d’une pertinence absolue. Bassiste attitré chez Galaxie et agitateur de distorsion avec Gros Mené, Fortin a également une carrière solo bien remplie. Planter le décor (2004) et Plastrer la lune (2008) ont constitué des preuves éloquentes du talent de songwriter du bonhomme. Fortin était de retour la semaine dernière avec Ultramarr. Sur ce 5e solo, en plus de s’entourer de son fidèle comparse Olivier Langevin, Fortin s’est accointé avec les Barr Brothers qui jouent sur plusieurs chansons de l’album.
Les amplis bourdonnent subtilement, les personnages de «perdants magnifiques» pullulent, les claviers frémissants font irruption çà et là et Fred Fortin y va de son meilleur album en carrière, rien de moins. Le folk rock d’Ultramarr est hypnotique, délicieusement «poteux» et parfaitement calibré entre effusions rock et folk tempéré. Hivernal, spleenétique, un peu claustrophobe, Fortin nous escorte dans un univers musical évoquant souvent celui de Wilco, sans les esbroufes guitaristiques d’un Nels Cline, et de Calexico, sans le penchant tex-mex/mariachi de la formation.
C’est aussi salopé que beau, aussi atténué que chambranlant et ça évoque le calme après une furieuse tempête de neige. Avec Ultramarr, Fred Fortin s’impose une fois pour toutes comme l’un des grands de la chanson québécoise. Après sa disparition, lorsqu’on revisitera son œuvre en entier, on prendra alors conscience qu’il aurait fallu lui dire merci d’avoir décloisonné la chanson bien de chez nous en lui insufflant des ascendants folk rock états-uniens de luxe. Il fut l’un des premiers artistes à mettre fin à ce désagréable mixage des voix à l’avant-plan qui fut, pendant longtemps, l’apanage du pop-rock made in Québec. On embarque de plain-pied dans ce périple hibernal qui force l’introspection et qui n’est pas sans rappeler, par moments, l’engourdissement généralisé de notre non-pays.
C’est bon du début à la fin! Ma préférée? La sensuelle Molly, dans laquelle Fortin (ou son personnage) est enfermé dans un chalet avec la bien nommée demoiselle, lui susurrant cette perle: «Fais du feu dans l’campe/À soir, j’enfile mes boots/De cuir de serpent, anaconda je crois/Je les achetés d’un dude dans le grand désert du Nevada». Et on se mettrait volontiers à la place de Fortin quand celui-ci finit ça en beauté avec un «Je mettrai le canon doucement dans ta craque de blouse»…
La locomotive folk rock atmosphérique Oiseau est sublime. L’extrait 10$ m’avait déjà conquis. La valse country rock éthérée Gratte incarne les grands espaces hivernaux québécois. La sarcastique L’amour Ô Canada fait franchement sourire. La pièce-titre, très piano-bar de fin de soirée, sur laquelle un pompiste/garagiste un peu sur le party qui y va de cette plaisanterie: «Je travaille chez Ultramarr et j’en ai ultra marre/Si je travaillais chez Shell, j’en aurais ultra marre» fait sourire. Ça m’a remémoré certaines fins de soirée embrumées par l’alcool et autres substances…
Que dire de plus? Si cet album-là ne fait pas son chemin parmi les meilleures parutions québécoises de l’année en cours, eh bien, ce sera la confirmation que le Québec n’en a que pour l’électro-pop; tournant musical opéré par bon nombre de créateurs visant l’approbation du plus grand nombre. Fred Fortin fait du Fred Fortin, sans chercher à plaire à tout un chacun, pour le plus grand plaisir de nos oreilles… à tout le moins des miennes!
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