Critiques

Cabaret Voltaire

Shadow of Fear

  • Intone Productions
  • 2020
  • 59 minutes
7,5

Cabaret Voltaire est un groupe légendaire formé en 1973 par Richard H. Kirk, Stephen Mallinder et Chris Watson, membre de la première génération de musique industrielle et précurseur de la scène post-punk à Sheffield, une ville austère. Le trio a passé la majeure partie des années 70 à faire de la performance en direct en expérimentant avec des lecteurs de ruban magnétique et des appareils électroniques, jusqu’à ce qu’ils soient signés sur Rough Trade en 1979. Après trois albums aussi originaux que leurs performances sur scène, CV a fait un compromis et a envahi les pistes de danse à partir de 2×45 (1982) et le simple Yashar. Un phénomène qui s’est développé sur les quatre albums suivants, et le reste des années 80 avec des succès underground comme Sensoria (1984) et I Want You (1985).

La décennie suivante les a pratiquement vu disparaître dans l’énorme vague house, expérimentant de façon intéressante avec la techno, l’ambient et le IDM à travers cinq albums, mais sans se démarquer comme ils l’avaient fait auparavant. Richard H. Kirk ne s’est heureusement pas attardé à cette époque en réanimant le projet en solo après vingt-six ans de sommeil. Avec Shadow of Fear, quatorzième album, le maître du ruban retourne au mélange original de collages sonores et de séquences électroniques enveloppés dans un thème post-capitaliste très entraînant.

Be Free ouvre sur un impact saturé, menant de façon saccadée à une mélodie aux synthétiseurs 80’s, accompagné d’une boîte à rythmes en mode samba. On retrouve immédiatement le son de CV avec les échantillons de voix répétés à travers l’évolution expérimentale du thème musical, interprété comme une jam-session dans un sous-sol. The Power (Of Their Knowledge) continue dans la même direction sur une boucle mécanique irrésistible, évoluant en pièce dansante guidée par les extraits sonores d’émissions télévisées et de films rétro. Night Of The Jackal renchérit comme un canal de nouvelle couvrant une guerre civile, empruntant la forme EDM pour faire danser les survivants dans un bunker.

Microscopic Flesh Fragment démarre sur une boucle rythmique interrompue qui se développe en séquence percussive légèrement expérimentale. Les improvisations dans les textures et effets sonores laissent une impression de performance en direct DIY. Papa Nine Zero Delta United enchaîne les échantillons sonores et accélère le tempo avec la boîte à rythmes en mode post-punk/gothique cette fois-ci, prenant en volume et en ampleur sur un thème mélodique un peu plus dramatique.

Universal Energy commence à la voix de façon expérimentale jusqu’à ce que la boîte à rythmes nous ramène sur la piste de danse sur un thème new beat délicieusement répétitif. Vasto part d’une séquence saccadée, accédant à un niveau supérieur d’intensité avec son mécanisme industriel chapeauté par un synthétiseur arpégé et un montage d’échantillons de voix. What’s Goin’ On place la guitare un peu plus au centre d’un thème mélangeant du funk et du jazz, avec les cuivres échantillonnés qui ponctuent le montage en boucle.

Sans Mallinder à la voix, Shadow of Fear évacue complètement le modèle couplet / refrain pour des séquences atmosphériques autour desquelles évolue les fragments de voix et échantillons de dialogue, les percussions abrasives et les lignes mélodiques. On se retrouve avec un mélange de musique industrielle et post-punk à la sonorité rétro, comme si tout avait été fait à la main, avec une précision captivante dans la découpe et le montage des différents rubans magnétiques. Combiné à Um Dada (2019) de Stephen Mallinder, le nouvel album de Richard H. Kirk nous rappelle que Cabaret Voltaire est resté maître de leur art et qu’ils n’ont plus rien à prouver depuis longtemps.