Critiques

Bobby Gillespie + Jehnny Beth

Utopian Ashes

  • Third Man Records
  • 2021
  • 40 minutes
6

C’est en 2015, lors d’une soirée-hommage à la formation électro-punk Suicide, que le meneur de Primal Scream, Bobby Gillespie, et Camille Berthomier, alias Jehnny Beth (Savages), ont uni leurs voix pour la première fois. Un coup de foudre créatif a alors cristallisé la relation entre les deux artistes. Deux ans plus tard, Gillespie a rejoint Beth à Paris en amenant avec lui ses acolytes de Primal Scream, en plus de Johnny Hostile à la réalisation, pour concevoir la majorité des chansons de cet Utopian Ashes paru la semaine dernière.

Priorisant un enrobage sonore flottant entre un country-soul mélancolique et des sonorités somptueuses inspirées du Gram Parsons de l’album Grievous Angel, le duo marche aussi dans les pas de l’égérie country Emmylou Harris et du musicien-réalisateur Lee Hazlewood. Utopian Ashes met en vedette deux créateurs, l’un bientôt soixantenaire, l’autre trentenaire, qui confrontent leurs expériences amoureuses respectives pour écrire des textes parfaitement ancrés dans la réalité.

Dans cette période « post-pandémique » qui a vu de nombreux couples rendre les armes, cet album tombe sous le sens. Les textes abordent l’usure de l’amour par le temps, la dégradation du couple accélérée par la consommation abusive de stupéfiants et la transformation de la passion qui unit deux êtres en néant relationnel. Malgré tout, Gillespie « l’engagé » n’a pu s’empêcher d’y aller d’une pointe d’ironie à l’endroit de certains de ses compatriotes qui se sont repliés sur eux-mêmes après l’adoption du Brexit :

Zero-hour sufferers

Stale depression haunts the bus

« Immigrants they’re not like us »

I heard someone say

– English Town

Utopian Ashes est un album de romance triste et langoureuse qui plonge l’auditeur dans un spleen « de tête » plutôt que dans une douleur réellement sentie. Les meilleures chansons sont celles qui privilégient les atmosphères brumeuses orientées vers le blues rock (Stones of Silence et Chase It Down). Trop de pièces grandiloquentes et lustrées plombent l’appréciation de cette création collaborative. Your Heart Will Always Be Broken, You Can’t Trust Me Now, Living a Lie et Sunk in Reverie sont un peu trop doucereuses pour être pleinement apprécié par l’auteur de ces lignes.

Cependant, les performances vocales respectives de Gillespie et Beth sont bonifiés par le travail de Johnny Hostile. Beth est particulièrement efficace lorsqu’elle harmonise sa voix avec celle du vétéran. Dans Chase It Down, lorsque la Française d’origine fait son apparition dans le refrain, la chanson prend alors de l’amplitude. On a également eu le béguin pour Remember We Were Lover; une pièce qui évoque autant le Nick Cave de l’album Murder Ballads et que ce « slow » classique qu’est Love Hurts, à l’origine enregistrée par les Everly Brothers, mais popularisée par la formation de hard rock britannique Nazareth.

Étant donné la réputation plus qu’enviable de Gillespie et Beth, Utopian Ashes aurait dû tenir ses promesses, mais cette production sombre trop souvent dans une artificialité un prétentieuse. Un disque de fin de soirée qui escortera vers la sortie vos invités un peu trop éméchés qui s’éternisent…