black midi
Hellfire
- Rough Trade
- 2022
- 39 minutes
On le répète inlassablement dans ces pages. Au cours des cinq ou sept dernières années, le rock britannique nous a offert une panoplie d’excellents groupes issus de la mouvance post-punk. Originaire de Londres, le jeune trio formé du guitariste-chanteur Geordie Greep, du bassiste Cameron Picton et du batteur-virtuose Morgan Simpson, nommé black midi, est un véritable ovni parmi ces nombreuses formations qui ont vu le jour.
En fait, depuis les sorties de Schlagenheim (2019) et de Cavalcade (2021), black midi nous propose une mixture foisonnante et parfois délirante de noise rock, de jazz fusion, de post-punk et d’avant-rock, le tout rehaussé d’influences classiques, recelant même quelques incursions dans le folk country, la comédie musicale et même la musique circassienne… particulièrement sur le troisième effort de la formation qui paraît aujourd’hui même : Hellfire.
Cette fois-ci, les Londoniens nous présentent un disque-concept réunissant une palette de personnages torturés et déviants qui attendent impatiemment leur admission aux portes de l’enfer! Dès la deuxième chanson titrée Sugar/Tzu, un présentateur accueille les candidats avec un « Let’s see some thunder ! » calqué à la perfection sur le légendaire « Let’s get ready to rumble ! » scandé par le célèbre annonceur américain, Michael Buffer, avant un important match de boxe. La notion « sportive » est même poussée à son paroxysme avec un intermède situé à la mi-parcours intitulé judicieusement Half Time !
Tout au long de l’écoute de ce Hellfire, on est bien sûr escorté par ces drôles d’individus. Or, c’est en conclusion de ce long format, avec la pièce 27 Questions, que l’on saisit un peu plus le message véhiculé par black midi. Le personnage-vedette de ce morceau est un acteur au seuil de la mort qui livre alors une ultime performance avant de s’immoler devant un public extatique. Son témoignage se résume en vingt-sept questions portant sur l’absurdité profonde de nos existences :
Does there exist a marriage that can’t survive castration?
– 27 Questions
A future where a man can go a year without hydration?
Is grass ever greener?
Is the will really free?
Is it only black you see when you join the deceased?
Will I forever be a mediocrity?
Et dans Welcome To Hell, le personnage incarné par Geordie Greep prodigue un conseil malsain à tous les va-t’en-guerre qui gouvernent notre planète :
To die for your country does not win a war
To kill for your country is what wins a war
– Welcome to Hell
C’est musicalement que le groupe épate en emportant tout sur son passage. Ceux qui connaissent bien la formation savent à quel point la virtuosité dont font preuve les instrumentistes de black midi est absolument exceptionnelle. Grisant, chaotique, multiforme et imprévisible, le groupe pousse son jeu et sa cohésion à un niveau supérieur. Même si on reconnaît certains tics compositionnels issus des deux premiers albums, le trio, auquel se joignent le claviériste Seth Evans et le saxophoniste Kaidi Akinnibi, nous assène une surcharge sonore aussi somptueuse qu’anxiogène. Hellfire est un album qui, aux premières écoutes, pourra paraître cacophonique et hautement complexe, mais au fil des auditions, ce fourmillement s’avère totalement maîtrisé.
L’ambiance « art rock progressif » entendue dans The Race is About To Begin, combinée à la performance vocale de Greep, évoquant une sorte de Serj Tankian (System of a Down) agitée, est franchement étonnante. Les subtiles incursions dans le folk country dans Still et The Defence viennent apaiser l’auditeur pendant quelques secondes. Le clin d’œil au jazz-fusion « à la Miles Davis » dans Dangerous Liaisons n’a pas échappé à l’auteur de ces lignes.
Évidemment, cette création exige un investissement auditif important de la part de l’auditeur afin de bien comprendre les idées folles lancées anarchiquement par black midi. Hellfire est certes une relecture hyperactive de l’histoire du rock, mais la formation est tellement soudée et créative dans l’interprétation de ses chansons qu’elle réussit à les catapulter dans la modernité… comme si Converge venait de s’amouracher de Miles Davis !