Critiques

Big Thief

Dragon New Warm Mountain I Believe in You

  • 4AD
  • 2022
  • 81 minutes
9
Le meilleur de lca

Tout ce que touche Big Thief semble se changer en or. En 2019, le groupe américain a lancé deux albums qui ont chacun trouvé leur place sur les tops de fin d’année. En 2020, c’était au tour de la chanteuse Adrianne Lenker de faire paraître l’excellent songs / instrumentals. Et voilà que la séquence se poursuit avec Dragon New Warm Mountain I Believe in You, qui a toutes les qualités d’un futur classique.

De toute évidence, la pandémie a agi comme un puissant stimulant pour le quatuor complété par le guitariste Buck Meek, le bassiste Max Oleartchik et le batteur James Krivchenia. Ainsi, ce nouvel album se décline en pas moins de 20 chansons réparties sur deux disques, pour un total de 81 minutes. Loin de diluer la formule, le format long permet à la formation d’élargir son indie folk mélancolique pour lorgner du côté du country rock (excellente Change en ouverture), du shoegaze (superbe Flower of Blood, avec sa guitare saturée de fuzz), du folk pastoral (la courte Heavy Bend), avec même quelques touches d’électro bien dosé (étonnante Time Escaping).

Je dois l’avouer, j’étais un peu inquiet devant la perspective d’un album double de la part de Big Thief. Je ne craignais pas nécessairement la redondance, mais plutôt un effet de trop-plein. Même si elle est loin d’être expérimentale, la musique du groupe commande généralement toute notre attention (que ce soit en raison de l’émotivité du chant de Lenker, des textes denses ou des arrangements souvent plus complexes qu’il n’y paraît) et je me demandais si la bouchée serait trop grosse à avaler.

Or, c’est tout le contraire qui se produit avec Dragon New Warm Mountain I Believe in You, qui se démarque par son sens de l’aventure et son refus de faire du surplace. En effet, jamais auparavant Big Thief ne s’est permis autant de libertés sur le plan stylistique, sans pour autant trahir sa signature. Pourtant, la formation new-yorkaise s’abreuve essentiellement aux mêmes sources qu’à l’habitude (la musique roots, le folk rock des années 70, l’indie ténébreux) mais elle le fait d’une façon plus intégrée que jamais, créant des ponts entre les genres pour amener ses chansons ailleurs. Ainsi, le premier disque s’achève sur la troublante Blurred View, qui emprunte même au trip-hop, tandis que No Reason nous entraîne en territoire folk-prog, jusqu’à la flûte traversière qui semble tout droit sortie des Cinq saisons d’Harmonium.

Autant ce nouvel album se démarque par son ambition (dans la durée comme dans les influences), autant sa richesse se trouve parfois dans ses morceaux les plus simples, C’est le cas de la touchante Wake Me Up to Drive, qui se déploie sur un rythme bondissant et une mélodie contagieuse, ou encore Little Things, qui donne dans le rock plus direct, tandis que les paroles évoquent les bons et les mauvais côtés d’une relation amoureuse qui vire à l’obsession :

« Leaving me undressed like some cheap classic movie

Maybe I’m a little obsessed

Maybe you do use me ».

– Little Things

Réalisé par le batteur James Krivchenia, Dragon New Warm Mountain I Believe in You est le fruit de quatre sessions d’enregistrement tenues dans des endroits tous plus différents les uns que les autres : dans l’État de New York; à Topanga Canyon, en Californie; dans les Rocheuses du Colorado; à Tucson, en Arizona. Le processus n’est pas sans rappeler celui ayant mené à la création du classique Blood on the Tracks de Bob Dylan, fruit de deux séances distinctes, une à New York et une autre dans son Minnesota natal. Plutôt que de cacher cette diversité de lieux en optant pour un son uniforme, Big Thief en a fait un élément clé de l’album. On s’amuse même à tenter de deviner de quelles sessions les chansons sont issues, certaines ayant bénéficié d’un travail poussé en studio alors que d’autres dégagent une énergie live.

C’est cette diversité et cette richesse qui font de ce cinquième album de Big Thief un véritable trésor. On y parle d’amour brisé, de quête d’identité, de solitude, mais il y a également de la légèreté et de l’humour, jusque dans les élans country western. Il y a aussi de la place pour le risque et l’expérimentation sonore, même si le groupe new-yorkais ne perd jamais de vue ce qui fait sa particularité sur la scène indie. C’est un classique en devenir, un genre de Blonde on Blonde de notre époque.

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