Critiques

Barrdo

Équivoques, vols. 1 & 2

  • Poulet Neige
  • 2022
  • 66 minutes
8
Le meilleur de lca

Malgré le peu de visibilité dont il bénéficie, Barrdo demeure un des groupes les plus intéressants à suivre sur la scène alternative locale. La raison? Son éclectisme. En effet, peu de formations peuvent se targuer de ratisser aussi large, du folk au prog au psych-rock à la musique de chambre. Paru récemment, le double Équivoques poursuit sur le même chemin de l’exploration, sans se soucier des étiquettes.

Pour ce quatrième album sous le nom de Barrdo, Pierre Alexandre (qui est aussi le bassiste de Fuudge) a de nouveau fait appel à son éternel complice David Bujold, qui assure ici le mixage en plus de jouer de la basse. C’est également Olivier Laroche de Fuudge qui agit à titre de batteur. Avec un tel noyau, on aurait tendance à considérer les deux groupes comme le prolongement l’un de l’autre, mais les différences restent nombreuses. Malgré ses structures aventureuses, la musique de Barrdo se rapproche davantage de la longue tradition de la chanson québécoise, avec un côté qui rappelle Harmonium par bouts ou Jean-Pierre Ferland de l’époque Jaune.

Équivoques constitue déjà un troisième album en quatre ans pour Barrdo. Une telle productivité a de quoi impressionner, même dans le contexte de la pause forcée de la pandémie. Au total, ce sont donc 14 nouvelles chansons que le groupe nous propose ici, enrobées de somptueux arrangements dont la qualité va bien au-delà de ce qu’on nous sert généralement dans la chanson au Québec (c’est du niveau Pierre Lapointe, rien de moins). Parmi les moments forts, on note la superbe Cette nuit, qui clôt le volume 1, portée par de magnifiques harmonies de cuivres.

Barrdo a toujours su jusqu’ici nous offrir des albums qui se démarquent les uns des autres, tous marqués du sceau de l’éclectisme, mais s’abreuvant à différentes sources, quitte à sacrifier un peu de cohérence au final. Dans ce contexte, le choix de séparer Équivoques en deux volumes séparés s’avère particulièrement avisé puisqu’il permet à Pierre Alexandre de mieux canaliser son imagination débordante et d’organiser son désordre, en quelque sorte. Ainsi, le premier volume est beaucoup plus traditionnel, avec des chansons pop-folk qui rappellent parfois Karkwa (très réussie J’aimerais tellement ça), tandis que tout fout le camp sur le deuxième, où on passe du psych-prog (superbe Hymne à la mort, qui plaira aux fans de King Gizzard and the Lizard Wizard) au metal (Te voilà tombé du ciel, où on est presque en territoire Fuudge, mais avec un aspect prog à la Dream Theater) au rock opératique (Ce que tu pourrais faire, véritable tour de force sur le plan stylistique) au stoner (Ouin ouin).

Pierre Alexandre continue aussi de se démarquer avec une poésie imagée, parfois un peu ampoulée, mais qui s’agence bien avec l’esthétique musicale. Dans Au creux de mon âme, il semble se mettre dans la peau d’un criminel qui prend conscience de sa véritable nature, sur fond de soft jazz nappé de flûte traversière. Si les textes misent souvent sur le pouvoir de l’abstraction pour exprimer leurs idées, d’autres renvoient à des thèmes plus concrets, comme Combien, qui aborde l’urgence climatique :

« Ça aura servi à quoi

D’avoir eu raison

Quand le feu prendra

Quand les eaux monteront

Quand il restera plus rien

Qu’à manger son voisin ».

– Combien

Dans le passé, j’ai déjà critiqué Barrdo pour ce que je considérais parfois comme un manque de direction. C’était plus évident sur L’éternel retour (2019), tandis que (les) méandres de la soif (2020) jouissait d’une direction artistique mieux définie. Comme les deux pochettes distinctes qui montrent un paysage immense sous deux éclairages différents, Équivoques s’approprie cette incohérence pour en faire un de ses traits de personnalité, comme une sorte de bipolarité artistique, qui se veut bien plus le reflet d’une grande culture musicale qu’une incapacité à trier ses idées.

Il y a tellement peu de groupes québécois qui se permettent une telle liberté (et aussi une telle ambition sur le plan du style) qu’il nous faut la célébrer. Et saluer également la parfaite maîtrise technique de ces musiciens, qui naviguent d’un genre à l’autre avec la même aisance et le même souci du détail. Impressionnant.

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