Critiques

Ariane Moffatt

Incarnat

  • Simone Records
  • 2021
  • 41 minutes
7,5

On est chanceux d’avoir une Ariane Moffatt au Québec. On est chanceux d’avoir une artiste au profil pop, mais qui n’hésite pas à surprendre, à explorer des zones qui déjouent les attentes. Ainsi, après l’électro-pop dansant de son projet SOMMM (avec le multi-instrumentiste Étienne Dupuis-Cloutier), elle revient avec un album tout en dépouillement, Incarnat, qui explore l’espace entre beauté et vulnérabilité.

Incarnat est un adjectif qui désigne un groupe de couleurs situées entre le rose et le rouge-orangé, et caractérisées par leur éclat clair et vif. En entrevue récente avec Le Devoir, Ariane Moffatt a parlé du sens qu’elle accole à ce mot, dans lequel elle voit « quelque chose de mystique ». Plus qu’une simple couleur, incarnat renvoie à des sensations : l’ivresse d’un verre de vin rouge, la beauté insaisissable d’un coucher de soleil, ou la vulnérabilité d’un visage qui rougit par timidité ou par colère.

On comprend donc que le mot incarnat a servi de fil conducteur à la création de ce nouveau disque, que ce soit dans le design de la pochette, les thèmes explorés dans les chansons (avec des titres évocateurs comme Beauté, Espoir, Distance ou Nature en conclusion), et même le choix d’instrumentation. Ainsi, Incarnat s’articule autour du piano, l’instrument fétiche d’Ariane Moffatt, celui avec lequel elle a grandi. Le piano, c’est aussi l’instrument par excellence du 19e siècle, celui qu’on associe au romantisme de toutes les passions, que ce soit dans l’intériorité d’un Chopin, la force d’un Brahms ou le lyrisme magnifique d’une Fanny Mendelssohn-Hensel.

Mais le romantisme d’Ariane Moffatt est tout sauf exacerbé. Et même si Incarnat prend des allures de récital au piano, ce n’est pas la virtuosité de l’instrumentiste qui commande l’attention, mais plutôt la richesse des textures, le pouvoir des mots et cette voix à la fois frêle et assurée qui touche droit au cœur. C’est un album d’une grande beauté, certes un brin linéaire dans ses ambiances, et qui priorise l’introspection et le calme à tout effet tape-à-l’œil. Le caractère intimiste des chansons est renforcé par la coréalisation de Marc-André Gilbert (Charlotte Cardin, Aliocha) très directe dans cette façon de capter le son du piano, avec une volonté claire de laisser résonner les pieds qui relâchent les pédales et le tapotement des doigts sur les touches.

Cela dit, il serait un peu réducteur de décrire Incarnat comme un album de piano. En effet, plusieurs titres bénéficient de touches électros qui leur donnent un côté un peu plus vaporeux. C’est notamment le cas sur l’excellente Beauté en ouverture, dont la délicate pulsation électronique rappelle le travail de groupes tels London Grammar, tandis que le texte explore l’apparente dichotomie entre le sublime et le tragique :

« Caresser le côté tranchant

La glace cède et l’horizon se fend

Avant de s’ouvrir à nouveau

Sur l’infiniment beau

Résister aux vents contraires

Si puissants »

– Beauté

Ailleurs, ce sont les cordes qui magnifient les chansons d’Ariane Moffatt (Décalage, Phèdre en forêt) ou alors la présence de Lou Doillon, en duo sur Jamais trop tard, qui reprend la mélodie d’Everybody’s Got to Learn Sometime du groupe The Korgis, succès des années 80. Il faut par contre attendre à la toute fin, sur la puissante Nature, pour voir la musique prendre de l’expansion grâce à un crescendo dramatique qui rappelle un titre comme Sourire sincère, de son album MA, paru en 2012.

S’il y a d’ailleurs un seul reproche que l’on peut faire à Incarnat, c’est une certaine uniformité sur le plan des ambiances qui peut peser un peu lourd en deuxième partie, sur un morceau comme Paupières, par exemple. En même temps, il s’agit d’un choix pleinement conscient de la part d’Ariane Moffatt, et qui permet de mettre l’accent sur sa voix (elle n’a sans doute jamais si bien chanté). De la beauté, point.

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