Aphex Twin
Syro
- Warp Records
- 2014
- 65 minutes
Peut-on vraiment décrire son appréciation du premier album officiel d’Aphex Twin en treize ans et réduire cette impression à une note entre 0 et 10? La musique de Richard D. James est trop chargée en contexte, en connotations et en relents de son passé pour qu’on puisse quantifier cette nouvelle et inattendue offrande sur une échelle numérique. Le musicien n’a pas vraiment de pair, à part peut-être Autechre et Squarepusher, et encore. À quoi alors doit-on donc comparer un disque comme Syro?
Beaucoup a été écrit sur le mystère qui entoure Richard D. James, ses méthodes, ses possibles troubles émotionnels, ses multiples pseudonymes et son indéniable génie, mais il parle rarement aux journalistes, et quand il le fait, on a l’impression qu’il en invente des grands bouts. C’est un éminent joueur de tour en plus d’un ermite notoire, alors on ne sait plus distinguer le vrai du moins vrai. Aphex Twin a toujours évolué en parallèle d’autres mouvements musicaux, offrant une version très personnelle de genres déjà existants comme l’ambient, l’acid house et le drum and bass. On ne parle donc pas d’un pionnier autant que d’une fascinante anomalie, un musicien qui est devenu influent pas en créant un style, mais plutôt en inspirant les autres à trouver l’approche et la sonorité qui les rendront eux aussi inimitables.
Aphex Twin n’avait pas vraiment besoin de lancer un autre album pour convaincre qui que ce soit de son importance. Avec Syro, il fait donc une espèce de pas vers l’arrière. Très ancré dans les sonorités techno des années 90, l’album est une démonstration des compétences d’Aphex Twin dans une palette de sons faciles d’approche, même un brin vieillots, qui rappellent vaguement toute une panoplie de gros canons de l’époque, avec une place de choix pour les samples de breakbeats et les soubresauts du drum and bass. Le tout est apprêté à la sauce Aphex Twin, évidemment, et c’est là que se trouve le gros du plaisir de Syro.
On ne sait jamais où nous mènent les compositions de James, et c’est encore le cas sur Syro. Rien n’est répété bien longtemps, les mutations se succèdent constamment, les sons sont manipulés d’une façon tout à fait exquise. Fidèle à son habitude, Aphex Twin utilise des sons débordant du cadre des douze tons de l’échelle chromatique traditionnelle. On se retrouve parfois sans référence, face à une musique quasi extraterrestre qui ne nous laisse jamais totalement nous reposer.
James a dit que Syro était une collection de quelques chansons parmi des centaines d’autres écrites depuis quelques années. Si le musicien a passé toutes ces années à être à la fois très sitedemo.cauctif et très peu intéressé à partager son travail avec le public, on ne peut que se demander à qui il voulait plaire avec cette nouvelle offrande, et pourquoi il a choisi d’appliquer sa méthode singulière à des sonorités souvent convenues. On aimerait y détecter un regard nostalgique et plein d’amour, comme on l’a entendu sur les albums les plus récents de Four Tet et de Martyn, par exemple. On devine cependant un disque cynique: de l’Aphex Twin habituel pour les convertis qui le suivent depuis déjà vingt ans, assoiffés d’un nouveau disque à se procurer. «Vous aimiez mes vieilles chansons énergiques avec des relents de jungle? Voici Circlont14. Vous aimiez mes douces compositions au piano sur Drukqs? Je vous laisse Aisatsana en fin d’album.» Richard D. James dit avoir assez de matériel pour plusieurs albums encore. Maintenant qu’on a entendu un plaisant album tourné vers le passé, espérons qu’il voudra bien nous faire entendre ce qu’il entend pour le présent et pour l’avenir.
Ma note : 6,5/10
Aphex Twin
Syro
Warp Records
65 minutes
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