FME 2022 | Jour 1 et 2 : Avalanche Kaito, Balaklava Blues, Medicine Singers, Grim Streaker, Gustaf, Gus Englehorn, Tamar Aphek, Chad VanGaalen, Gloin et Gargäntua
À pareille date l’année dernière, Le Canal Auditif célébrait son dixième anniversaire d’existence au Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue (FME), et ce, de manière mémorable. Cette année, c’est au tour du FME de fêter ses vingt chandelles, et de belle façon, grâce à un retour libérateur à la normalité.
Puisque je suis littéralement tombé en amour avec le festival et ses organisateurs, je suis de retour cette année — en compagnie du bon LP Labrèche — pour vous relater mon séjour musical, d’une durée de quatre jours et quatre nuits, dans cette sympathique capitale culturelle qu’est Rouyn-Noranda.
Jour 1
Avalanche Kaito, Balaklava Blues et Medicine Singers – Petit Théâtre du Vieux Noranda
Après avoir déposé mes bagages à l’hôtel, récupéré mon laissez-passer et englouti une orgie de fritures, je me suis dirigé au Petit Théâtre du Vieux Noranda pour assister à une soirée que je pourrais qualifier « d’expérimentale » et qui mettait en vedette les formations Avalanche Kaito, Balaklava Blues et Medicine Singers.
Et c’est Avalanche Kaito qui lançait les hostilités… c’est le cas de le dire ! Formé du chanteur burkinabé Kaito Winse, du guitariste Nico Gitto et du batteur Benjamin Cheval, le trio nous propose une mixture de noise rock aux accents parfois punks. Or, ce qui distingue la formation, c’est sans contredit l’apport physique, instrumental et poétique de Winse. Le griot déclame et chante avec un enthousiasme hautement contagieux des récits historiques qui font la part belle aux héros et traditions du Burkina Faso.
Dans la forme rock, ça faisait un bail que je n’avais pas entendu une formation détenant un son et une énergie aussi singulière. La guitare baryton de Gitto et le jeu rythmique constamment en contretemps de Cheval, combiné à la flûte traversière et les différents instruments percussifs issus de la tradition ouest-africaine joués par Winse, m’ont subjugué.
Quel groupe, mais surtout quel chanteur ! La prestation s’est conclue avec Winse, accompagné par l’acolyte Grito, dansant frénétiquement dans la foule clairsemée. Le public n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles. Bruyant, innovateur, cathartique et émouvant. Si Avalanche Kaito passe tout près de chez vous, courez les voir. C’est le meilleur concert auquel j’ai assisté en ce jour 1.
Ensuite, c’est la formation torontoise Balaklava Blues qui avait le lourd mandat de capter mon attention après que mon mohawk mou ait été décoiffé par Avalanche Kaito. Ce projet est né de la rencontre amoureuse entre Mark et Marichka Marczyk lors de la Révolution ukrainienne de 2014. Mélangeant le trap, l’EDM et l’électro-pop, la musique synthétique du trio sert principalement à nous sensibiliser sur les affres que subit à l’heure actuelle le peuple ukrainien.
Sans que ce soit ma tasse de thé, la musique de Balaklava Blues a le mérite d’être rassembleuse. Par moments, les tirades trop appuyées de Mark Marczyk sur l’état des lieux en Ukraine atténuaient l’impact des éloquentes images projetées derrière le trio. En fait, la formation devrait plutôt laisser parler sa musique et ses visuels évocateurs. Bon concert malgré ces trop longues interventions.
C’est donc Medicine Singers qui avait la responsabilité de conclure cette soirée. Cette collaboration entre le groupe algonquin Eastern Medicine Singers et le guitariste Yonatan Gat présente un explosif amalgame de musique pow-wow, de jazz et d’indie rock.
Dès le début de la performance, j’ai été happé par la puissance déployée par le sextuor et ce n’est pas étranger aux déflagrations de guitares assénées par Gat. Toutefois, la contribution des deux vétérans incantateurs algonquins, sis au-devant de scène, n’est surtout pas à négliger. Ce sont eux qui consolident les rythmes tribaux du batteur et qui crédibilisent les nombreuses dissonances proférées par le guitariste israélien.
Cela dit, un manque de cohésion généralisée a caractérisé l’ensemble de la performance comme si la formation avait manqué un peu de préparation pour ce concert. À revoir une autre fois avant que j’émette un avis plus tranché.
Grim Streaker et Gustaf – Cabaret de la Dernière Chance
Pour conclure ce jour 1, je me suis rendu au Cabaret de la Dernière Chance pour assister aux prestations de deux formations post-punks : Grim Streaker et Gustaf. Ayant partagé la scène avec METZ, IDLES, et A Place To Bury Strangers, entre autres, le quatuor brooklynois/vancouvérois a bâti sa bonne réputation scénique grâce à des prestations précises et énergiques.
Or, le problème avec Grim Streaker, c’est que l’identité sonore du quatuor est passablement floue. Par moments, on y entend l’influence criante de Dry Cleaning et, à d’autres instants, la voix de la charismatique chanteuse — qui constitue la seule force de frappe notable de la formation — évoque fortement celle de Karen O des Yeah Yeah Yeahs. Bien sûr, le groupe est soudé au quart de tour et Amelia Bushell fait tout ce qui est nécessaire pour mettre le public à sa main, mais musicalement, le post-punk proposé par Grim Streaker est trop générique pour que je puisse pleinement l’apprécier.
Enfin, j’ai conclu mon périple musical avec la formation Gustaf. Évoquant à la fois la vénérable formation Talking Heads et le jeune quintette montréalais Pottery, j’ai senti que les New-Yorkais se sentaient à l’étroit sur la petite scène du Cabaret de la Dernière Chance. Après quatre chansons, la fatigue du long voyage se faisant sentir, je suis retourné à l’hôtel un peu pompette, et dans la rigolade, accompagné par ma charmante épouse ainsi que du sympathique « frontman » de la formation Chou et ami, Charles Laplante.
Jour 2
Gus Englehorn, Tamar Aphek et Chad VanGaalen – Petit Théâtre du Vieux Noranda
Après une première journée musicale convenable, le deuxième jour de ce FME s’annonçait plus qu’intéressant. C’est à 20h que j’ai démarré ce périple musical en allant à la rencontre de Gus Englehorn, Tamar Aphek et Chad VanGaalen qui tenaient l’affiche au Petit Théâtre du Vieux Noranda.
C’est Gus Englehorn qui avait l’honneur d’ouvrir cette soirée. En 2020, il nous proposait l’excellent Death & Transfiguration; un long format qui détonnait dans le paysage musical québécois. Au printemps dernier, il nous présentait son deuxième album, Dungeon Master.
Escorté à la batterie par son épouse, la percussionniste et artiste visuelle Estée Prada, Englehorn emprunte une formule maintes fois utilisée dans le monde du rock… eh oui, j’ai pensé encore une fois aux White Stripes. Donc, il fallait accepter cet état de fait pour apprécier la performance du duo.
Dans ce format minimaliste et sans artifice, j’ai obtenu la confirmation que l’Américain d’origine est un songwriter vraiment doué, mais c’est surtout son charisme bon enfant qui m’a vraiment conquis. L’ajout d’un bassiste aurait assurément donné un peu plus de rondeur aux chansons. Somme toute, les deux amoureux ont quand même offert une performance vraiment sympathique.
Ensuite, c’est la guitariste et compositrice israélienne Tamar Aphek, accompagnée par un bassiste, un claviériste et un batteur, qui est venu faire une démonstration remarquable de son talent. Pigeant allègrement dans les pièces de son excellent premier album, All Bets Are Off (2021) — en plus de quelques nouvelles pièces — le quatuor a offert une performance irréprochable et beaucoup plus bruyante qu’en mode « album ». Une exécution sans failles !
Sur scène, Tamar Aphek est d’un calme désarmant. Cette femme de peu de mots s’est, semble-t-il, fait reprocher à quelques reprises son manque d’interaction avec le public. En ce qui me concerne, ce fut le moindre de mes soucis. La musique d’Aphek est tellement éloquente ! La dame et ses acolytes aiment en plus jouer le volume dans le tapis. Bref, on n’a pas fini d’entendre parler d’elle. Deuxième coup de cœur de cette 20e édition du FME.
Et la conclusion de cette soirée avait été confiée à l’Albertain Chad VanGaalen qui, malgré tout le respect que je lui porte, ne réussit jamais à m’émouvoir. Même si son imaginaire infantile et son indie rock tortueux m’interpellent, je n’embarque jamais totalement dans sa proposition.
Une chose est certaine, si les arrangements de ses albums sont généralement assez étoffés, en concert, VanGaalen préfère les sonorités brutes et sans fla-fla. C’est donc en format trio — batterie, basse, guitare — qu’il s’est présenté sur scène. Tout au long de la prestation, j’ai pensé à Neil Young & Crazy Horse tant ce qu’il proposait était crasseux. Mais ce qui m’a permis de rester scotché à la performance du trio, ce sont les visuels naïfs et hautement psychédéliques qui défilaient derrière le groupe. Bref, un bon concert sans plus.
Gloin – Cabaret de la Dernière Chance
J’ai ensuite déménagé mes pénates au Cabaret de la Dernière Chance pour aller me faire dégraisser les oreilles par la jeune formation de noise rock torontoise Gloin. Au menu ? Mur de son virevoltant et stroboscope obsessif !
Plus sérieusement, le quatuor mélange le post-punk au noise rock. J’ai pensé bien sûr à la formation Metz, mais aussi, grâce à l’explosivité sonore que le groupe nous administre, j’ai décelé quelques influences de la formation A Place To Bury Strangers. Le groupe oscille entre des moments déflagrants et des décélérations de tempos aux allures éthérées. S’il n’y avait qu’une seule faiblesse à noter, ce sont les voix qui manquent quelque peu de personnalité. Sinon, voilà un groupe prometteur… qui lance son album le 21 octobre prochain et j’en ferai la critique !
Gargäntua – Sous-sol du Petit Théâtre du Vieux Noranda
Voilà le clou dans le cercueil de ce jour 2 ! Ouf ! Par où commencer ? Gargäntua est un duo français résolument techno et qui intègre quelques éléments mélodiques pop pour bien accrocher et fédérer son public. Entre une esthétique trash, une imagerie inspirée par le black métal et une jouissive ironie, le duo se fait un point d’honneur de jouer avec le malaise tout en ayant la capacité, au bon moment, de nous unir derrière un refrain rassembleur.
Fortement influencé par la techno gothique de Mike Lévy, alias Gesaffelstein, faisant preuve d’un humanisme blasé, le tandem donne un concert haut en couleur, magnifiquement déjanté, où les corps s’agitent sur des rythmes martelés obsessivement et des textes malaisants.
Quelques moments complètement marteaux sont venus me réjouir. Dans No Pain No Gain, pièce appuyée par une vidéo qui nous présentait de nombreux culturistes, le duo s’est avancé au-devant de la scène, pour lancer au public une sorte de « shake » protéinée afin de le stimuler. Drôle et déconcertant à la fois. Nous nous sommes même fait bénir à grands coups d’algues de mer. Oui, je vous le donne en mille… c’est mon troisième coup de cœur de ce FME !
Après cette prestation à un haut niveau d’énergie, je suis retourné à l’hôtel. Mon corps était dans un état d’alerte maximal tant j’avais été littéralement fouetté par la techno de Gargäntua.
De retour sous peu avec mon compte-rendu des jours 3 et 4. Restez à l’affût !
Crédit photo: Couverture : Louis Jalbert