Concerts

FIJM 2017: Colin Stetson, Tigran Hamasyan et Shobaleader One

Voilà déjà une troisième soirée de couverture pour Hugo Tremblay qui passait de Stetson à Hamasyan pour terminer sa course chez Shobaleader One.

Colin et Goliath

Colin Stetson, aussi connu comme l’homme qui pouvait retenir son souffle pendant plus d’une heure, nous est apparu samedi soir face à la Maison Symphonique comme David face à Goliath. Il était muni non pas d’une pierre, mais de deux saxophones et d’une clarinette contrebasse. Le son de sa musique minimaliste a certainement surpris toute l’assemblée par sa plénitude et sa puissance… Même pour moi, qui savait exactement à quoi m’attendre, ce fut un énorme choc. Il a commencé doucement, avec son saxophone alto et Spindrift, une pièce aérienne à souhait qui accoutuma lentement la foule à la transe qui les attendait dès la deuxième pièce. Dès les premières notes poussées par son saxophone basse, on est passés à un autre niveau. Le son de celui-ci, les bruissements de clefs et la voix de Stetson sonnaient comme une énorme tonne de briques… La respiration circulaire permettant au saxophoniste de garder un flux d’air constant presque indéfiniment, le mur de brique est resté bien debout pendant une heure et un quart.

C’était une expérience hors du commun, quasi cathartique, que de voir ce spectacle. La musique minimaliste est un monde très différent de celui du jazz. Il a été représenté à merveille par le virtuose (et, disons-le, par l’ingénieur de son, qui a rempli la Maison Symphonique jusqu’au dernier centimètre cube, de son gargantuesque son). Il avait l’air complètement épuisé après chaque pièce, et cet épuisement n’aurait pu être mieux investi. Sauf le son de la voix de Stetson (car oui, il n’en a pas assez d’être un virtuose du saxophone, alors il chante en jouant à l’aide d’un micro apposé à sa gorge) qui était un peu strident par moments, je n’ai rien à dire de négatif sur ce concert.

Un virtuose, deux virtuoses…

Un virtuose n’attendant pas l’autre, Tigran Hamasyan a succédé à Stetson sur les planches de l’immense salle, lui aussi seul avec son instrument. Le talentueux Arménien a amorcé le spectacle avec New Baroque 2, pièce pour voix et synthétiseur, qui a fait un excellent decrescendo entre l’énorme son de Stetson et la subtilité de ses lignes de piano. Il nous a ensuite interprété une bonne partie de son dernier album, en se laissant évidemment divaguer dans les arrangements et les improvisations. Le tout s’est fini en rappel avec une version déconstruite à en couper le souffle de Someday My Prince Will Come, que le pianiste a tiré de son album solo A Fable.

On pouvait s’y attendre, la performance était en général impeccable. Les compositions jazz-baroque-impressionnistes de Hamasyan sont aussi poignantes en live qu’en studio, et ses arrangements sont aussi mélodieux et accrocheurs qu’ils sont harmoniquement complexes et intelligents. Contrairement à plusieurs, le pianiste sait trop bien quand il est temps de s’énerver et, surtout, quels moments il faut laisser tranquille. C’est probablement ce qui est le plus efficace pour effectuer une courbe d’intensité dans un concert, et ça, il l’a visiblement compris. En fait, il l’a peut-être même trop compris. Le spectacle a pris trop de temps à se construire pour monter de façon significative en intensité. Bien que chaque pièce soit une courbe en soi, le point culminant du spectacle s’est retrouvé trop vers la fin de celui-ci à mon goût. Ce qui le précédait n’allait pas beaucoup plus loin que « ouain c’était un peu intense ça » (malgré que Tigran Hamasyan soit reconnu pour être tout sauf monotone).

Certains moments, à ma grande surprise, n’étaient pas aussi puissants qu’en studio… Mais la faute ici est probablement à la sonorisation, parce que le jeu du pianiste semblait plafonner avant d’arriver au volume qu’on lui connaît. Le son du piano était assez décevant pour une telle salle, avec des graves indistincts et des aigus un peu nasillards. Ça a un peu gâché l’expérience et c’est probablement la cause du manque de puissance de certains passages.

Mais malgré ces écueils, le spectacle était très bon. La version d’une vingtaine de minutes de Nairian Odyssey fut un moment exquis, tellement que la pièce valait presque le prix du billet à elle seule.

jazz fusion slash drum and bass

Ça semble être une maladie chronique de faire commencer les concerts en retard au Club Soda, car un peu comme pour Cory Henry, Shobaleader One sont embarqués 30 minutes après l’heure prévue. On a cependant oublié vite cet accroc à la vue de l’excentrique groupe de… mettons… jazz fusion slash drum and bass. Le projet de Squarepusher est à son maximum sur une scène : lui et ses trois acolytes sont munis de casques illuminés par des DEL qui interagissent avec la musique. Cela donne une dimension très intéressante à certains passages — par exemple, lors du solo de batterie, le casque du batteur s’allume en fonction dudit solo. D’ailleurs, tous les solos du batteur étaient exquis. Le style était très différent de ce qu’on entend au festival à longueur de journée et ça avait quelque chose de rafraichissant. Tous les musiciens sont incroyablement solides ensemble, et ce malgré la difficulté technique souvent très élevée de leur musique. Le spectacle a visiblement plu à la foule, enthousiastes dès les premières notes pour le drum and bass déjanté du groupe. Ça finit définitivement bien une soirée, et on a déjà hâte au prochain passage de Squarepusher à Montréal.

http://www.montrealjazzfest.com/

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