FEQ 2022 | Jour 10 : Vulgaires Machins, Alexisonfire et Rage Against The Machine
Enfin, le samedi 16 juillet 2022. Le rendez-vous entre Québec «Rock cité» et Rage Against the Machine, qui fut annoncé avant les premiers confinements, aura finalement lieu. Malgré une blessure au pied du chanteur Zach de la Rocha survenue quelques jours plutôt, aucune rumeur d’annulation.
Les Plaines vont bien résonner au son des corps hurlants. Après une montée rapide en vélo électrique du cap et la moitié d’un roulé acheté en vitesse (la deuxième partie sera pour après le spectacle, s’il survit) c’est l’heure de se trouver une place sur les Plaines.
Les Vulgaires Machins
Arrivé juste à temps pour se placer à l’avant-scène du côté droit (le meilleur endroit pour arriver à avancer pendant les prestations), ça ne prend que quelques minutes avant que les Vulgaires Machins attisent la foule. Leur punk rock donne le ton à la soirée. Nous sommes sur les Plaines pour que l’électricité acide des guitares et le tonnerre de la batterie nous permettent de prendre un répit de la noirceur du quotidien. Une soirée d’exutoire de rage grâce à la puissance rock. J’avoue ne pas être un admirateur de longue haleine du groupe, mais leur prestation stimule bien mon dégoût du système capitaliste, de toutes les formes de violence et des prouesses d’indifférence dont peuvent faire preuve nos instances publiques. Triple meurtre et suicide raté, révolte sans détour, même 20 ans après avoir été écrite ; Compter les corps et Puits sans fond ont des refrains tout aussi puissants que lorsqu’ils jouaient en boucle dans le Top 5 franco de MusiquePlus. Je ne vois pas Rej Laplanche dans la foule par contre, il doit chercher Babu à travers les Plaines qui sont déjà presque pleines avant les derniers accords du groupe québécois. Guillaume Beauregard nous annonce que sa bande sortira une nouvelle galette cet automne en nous présentant «la moins bonne toune de l’album, mais la plus nécessaire » selon ses dires. Je vous laisse juger par vous-même, mais ils joueront d’autres pièces, heureusement, lorsqu’ils reviendront à Québec en novembre avec les vieux routiers du punk américain Anti-Flag.
Alexisonfire
La soirée est lancée, tout le parterre s’est dégourdi un peu avec quelques mosh pits épars en apéritif. Alors que le soleil est maintenant complètement caché par l’hôtel Concorde, la formation ontarienne Alexisonfire s’apprête à enflammer le ciel bleu. Je suis peu familier avec le catalogue du groupe, je n’ai jamais été particulièrement attiré par les chants gutturaux provenant du hardcore. Après cette prestation, ça me donne particulièrement le goût de plonger dans l’univers du groupe. La chimie du groupe est excellente entre le bassiste en transe, le batteur en puissance et le guitariste pour donner des sonorités punk et rock stoner qui cognent dur, et la foule en redemande. Il ne faut pas oublier la plus grande particularité du groupe à mon sens l’interaction entre les deux chanteurs : l’animal George Pettit et le mélodique Dallas Green. Mes tympans protégés par des bouchons sont peut-être néophytes du groupe, mais chaque pièce m’apparaît très théâtrale alors que chaque chanteur se relance. Un dialogue entre les rugissements salvateurs du hardcore et les envolées lyriques du métal des années 80. J’essaie d’identifier les pièces avec Shazam entre deux mosh pits… j’ai rarement fait quelque chose d’aussi inutile. J’arrive tout de même à identifier la chanson Committed to the con provenant de leur plus récent album qui s’insurge face aux positions conservatrices cherchant à éliminer tous les groupes marginaux. La foule est déçue de voir partir le groupe après cette généreuse heure brutale.
Rage Against the Machine
Plus de doute quand je me retourne vers l’arrière, nous sommes assez de monde pour nous lancer dans une révolution. À Rage Against The Machine d’embraser ce carburant humain. L’attente semble longue, la fébrilité est énorme alors qu’après le travail des techniciens, la scène est plongée dans le noir. Des échos préenregistrés de guitares lointaines semblent provenir d’une grotte profonde qui s’ajuste au bourdonnement des milliers de personnes prêtes à rugir avec la voix aiguisée de Zack de la Rocha. Toujours plongés dans l’ombre, nous entendons le chanteur a capella qui nous lance un discours brûlant sur notre responsabilité individuelle de rester insoumis, alors que le groupe s’installe. Puis, la ligne de basse de Bombtrack débute, lançant ainsi une longue suite de déflagrations musicales pour soulever la masse grouillante. Les 90 minutes suivantes sont plutôt floues, je vous dirais. Les brasse-camarades s’enchaînent avec peu de moments de répit. Un festivalier ouvre une fumée de positionnement trouvée au surplus sûrement à deux reprises, l’odeur piquante de la fumée rouge ou rose donne une ambiance surréelle. Chaque instant m’apparaît déchaîné, poussiéreux et collant. De la Rocha nous fixe d’un regard possédé sur sa caisse de transport qui lui sert de chaise pendant cette messe anarchique. En plus de sa prosodie si agressive, je réalise le talent de conteur du chanteur. Chaque mot est vécu entièrement pour créer des images fortes brûlant à vif les émotions de la foule. Son éloquent message à l’endroit des fiascos de la Cour Suprême des États-Unis face à l’avortement est d’une pertinence incisive. Comme à Ottawa, la soirée d’avant, une jambe cassée n’arrête pas un iota de sa fougue. Tout le groupe est aussi investi et puissant. Les expérimentations à la guitare de Tom Morello déstabilisent et électrifient la foule. Je réalise aussi à quel point le bassiste Tim Commerford a un jeu à la fois technique et rageur. Brad Wilk martèle infatigablement ses tambours.
De Testify, à Bullet In The Head, à Bulls On Parade en passant par Freedom, Guerrilla Radio, Know Your Ennemy et Take The Power Back; aucun temps mort lors des 20 chansons qui provoquent les chocs répétés des corps. De la Rocha invite évidemment à la sécurité et l’entraide, ce qui est courant bien avant son intervention. On se relève après une chute; on crée des périmètres de sécurité autour de ceux qui veulent sortir; on voit quelqu’un brandir un soulier perdu. L’étiquette de mosh pit est impressionnante.
Comme les Vulgaires Machins et Alexisonfire ayant souligné le caractère historique de leur présence sur la même scène que RATM, nous sortons du site au son de Don’t worry be happy, certain d’avoir assisté à un spectacle plus grand, espérons-le, que les sinistres contraintes du système. Pour rendre cette soirée encore plus magique, le restant de mon roulé qui a encaissé autant de rocks que moi a survécu dans mon sac à dos. Un lunch révolutionnaire pour provoquer la chute du capitalisme.
Crédit photo: Marc-André Mongrain