FEQ 2022 | Jour 7 : Lido Pimienta et Charli XCX
Alors que toute la journée de mardi n’a été qu’une accumulation d’humidité sous toutes ces formes, un orage violent vers 18h15 a foutu une bonne frousse à mes oreilles festivalières. Le début de soirée a presque été annulé, la pluie nous obligeant à « larguer les amarres », pour reprendre les vers d’un poète anonyme local. Heureusement, plus 19h approchait, plus le ciel se dégageait, et c’est en suivant un double arc-en-ciel que je suis arrivé à la salle Hydro-Québec pour le spectacle de Lido Pimienta.
La Colombienne/Canadienne propose une musique éclectique qui arrive à déconstruire les frontières séparant les sonorités électroniques actuelles et les traditions de cumbia, de reggaeton et de samba qui animent sa culture musicale traditionnelle. J’anticipais beaucoup ce spectacle et elle arrive à me charmer dès son entrée sur scène. Elle débute sans « flafla » sa prestation en se présentant candidement, un grand sourire aux lèvres qui résonnent jusque dans sa voix. En quelque note portée par sa voix cristalline, son corps s’anime. Elle est gracieuse, brutale, clownesque ou les trois en même temps. Entre puissance et contrôle, sa prestation déborde de théâtralité. Chaque chanson est vécue entièrement par l’artiste. La musique fait voler sa robe ample mêlant crinoline et textile traditionnelle. Sa tête est souvent tournée vers le ciel comme si elle voulait que ses paroles soient portées par les vents. Elle semble chanter pour les éléments, pour la décolonisation, pour le féminisme.
Toutes ses expérimentations électroniques, que la chanteuse lance à partir d’un contrôleur midi fleuri, s’accompagnent par son percussionniste, Bradon Valdivia. Avec son tambour de cumbia traditionnel entre ses jambes, il s’entoure d’instruments rythmiques – clave, cloches à vache, conga, cymbales et carillons – pour offrir un habillage scintillant de textures chaudes aux différentes pièces. Agua avec ses rythmes synthétiques rebondissants m’impressionne particulièrement par son étrangeté envoûtante. C’est encore plus marquant parce qu’elle suit la délicate balade d’inspiration reggaeton Te Queria. Je suis surtout familier avec les pièces de Miss Colombia, sa galette de 2020 s’étant retrouvée sur la courte liste des prix Polaris. Toutes les pièces de son dernier album prennent un niveau de force lorsqu’elle les joue sur scène alors qu’elle les mélange au reste de son répertoire. Notamment, son grand succès Nada, véritable hymne de prise de possession de son corps, prend une charge symbolique alors qu’elle nous raconte son origine. Elle écrit Nada après son accouchement de son deuxième enfant (sans épidurale…qu’elle déconseille fortement puisque les femmes souffrent déjà 24/7). Cette épreuve lui a fait réfléchir à cette douleur qui inflige une faiblesse aux femmes alors qu’elle se rapproche de la mort en donnant la vie. Ça l’amène à faire un, ce que j’aurais le goût de qualifier de numéro d’humour, à propos de l’avortement. Partant de la prémisse que l’avortement est un meurtre, elle souligne que toutes les éjaculations hors de la « sacred womb » sont le meurtre de millions de bébés. Chanteuse, activiste et humoriste, j’ai l’impression d’assister à un spectacle de variétés complet en assistant à cette prestation de début de soirée.
Lido Pimienta est une artiste complète, accessible qui joint le festif à l’expérimental avec un naturel désarmant de charme. Courez la voir si elle passe près de chez vous. Qu’il y ait orage ou grêle, elle s’occupera de sommer le soleil d’apparaître par sa voix.
Charli XCX
D’une artiste féminine forte à une autre, je me rends à la scène Loto-Québec pour vivre un carambolage pop avec Charli XCX. J’espère ne pas en sortir indemne. Sa prestation débute avec une minute d’avance pratiquement alors que des éclairs de synthèses déchirent les écrans. Comme seul autre décor, un immense escalier blanc faisant presque toute la largeur de la scène. Ce qui remplace le tonnerre c’est l’écho de Lightning qui joue en piste enregistrée. Le ton est donné, l’intensité monte. L’ombre de Charli XCX grimpe les gradins minimalistes, elle prend la pose au sommet. Les éclairs illuminent par flash son costume qu’elle semble avoir emprunté à Xena. Une guerrière pop qui défend tous ses sous-genres, qu’il s’agisse des refrains mélancoliques des années 80 aux rythmes rave des années 90 ou encore l’acidité électronique des années 2010. L’assurance de la chanteuse ne dérougit pas durant le généreux spectacle de 18 chansons (et j’en ai peut-être oublié). Chaque pièce sonne comme un succès classique que la foule accueille avec joie. L’enchaînement des pièces est tout simplement excellent. Baby, avec sa basse plus agressive que sur l’album, me fait encore plus d’effet que d’habitude. J’ai particulièrement apprécié le passage de Vroom Vroom à Visions créant une montée d’intensité finissant en un paroxysme de techno industriel.
Ses chorégraphies sont énergiques et sensuelles sans aucune retenue, au plus grand plaisir de la foule. Chaque fois qu’elle se dandine le derrière, la foule hurle. Bien que le public réagisse dès que la chanteuse lui demande de l’énergie, la foule m’apparaît un peu tiède par moment, comme si elle était toujours en attente des directives. Mention spéciale au dude accoté sur la barrière à l’avant-scène, complètement impassible durant le nouveau tube Hot in it alors que toute la foule est « ambiancé » sur un moyen temps. La nouvelle icône LGBTQ+ scande sans cesse les différents exercices de la soirée (sauter, hurler, lever les mains, faire monter des gens sur des épaules), on se croirait dans le meilleur cours de Zomba possible.
Elle prend peu de pauses entre les chansons, elle ne discute pas longuement avec la foule, ce sont plutôt ses chorégraphies et ses exclamations qui nous électrisent. Ses deux danseurs sont d’ailleurs des atouts de taille pour perfectionner l’univers de chaque chanson. Ils sont infatigables, joyeux et tout aussi langoureux que la chanteuse. Sans choriste, Charli XCX utilise avec habileté les trames enregistrées pour dédoubler sa voix et se donner des répits aux nombreuses séquences purement chorégraphiées.
C’est une réussite sans aucun doute, alors que je sors de la scène en ayant l’impression que chaque pièce était le meilleur moment de la soirée de presque 1h30. À voir absolument lorsqu’elle sera de passage à Osheaga en août !
Crédit photo: Henry Redcliffe