Critiques

Lido Pimienta

Miss Colombia

  • Anti- Records
  • 2020
  • 44 minutes
8
Le meilleur de lca

Il y a trois ans, la Torontoise d’origine colombienne Lido Pimienta est sortie de nulle part pour gagner le prix Polaris avec son premier album La Papessa, paru sans l’appui d’une maison de disques et chanté entièrement en espagnol. La voilà qui vient de lancer Miss Colombia, une œuvre peut-être encore plus forte que la précédente et qui constitue une véritable ode à la diversité et à l’affirmation de soi.

On a souvent comparé le travail de Pimienta avec celui de Björk, époque Post. C’est vrai, les deux combinent avec ingéniosité les sonorités électroniques et organiques, à la différence que la pop de la musicienne canadienne se double d’influences latines. Mais surtout, les deux chanteuses utilisent leur voix riche comme outil pour se faire entendre, non seulement au sens propre, mais aussi au sens figuré, symbole de leur volonté d’exister et de partager leur identité personnelle et collective.

Parce qu’elle chante en espagnol, il est difficile pour nous de saisir la portée politique de la musique de Lido Pimienta. Née à Barranquilla, en Colombie, elle s’est toujours identifiée à son héritage Wayuu, un peuple autochtone dont elle possède des origines du côté maternel. À 11 ans, elle jouait dans un groupe metal, dénonçant les politiques du président conservateur Andrés Arango. Une fois au Canada dans les années 2000, elle a vu sa mère être victime de préjugés qui viennent avec le fait d’être immigrante dans un milieu presque entièrement blanc (London, en Ontario). Elle lui a d’ailleurs rendu hommage dans son discours d’acceptation du prix Polaris, en plus de dénoncer le « spécimen aryen » qui lui a jadis dit de retourner dans son pays.

La Papessa était certes un album engagé de par ses textes et le refus de Pimienta de se plier aux exigences de l’industrie, mais il restait quand même assez conventionnel sur le plan de la forme, avec ses chansons électroniques aux basses creuses combinant des influences trap et trip-hop, pour un enrobage pop au final. Sans dire qu’il marque un virage, Miss Colombia se veut plus personnel, et aussi plus ambitieux, dans son approche. Voilà un album qui s’écoute comme un tout, avec une première face plus moderne, faite d’orchestrations ingénieuses, et une deuxième plus « traditionnelle », sur laquelle elle célèbre les musiques de son pays d’origine de manière touchante, par le biais d’échantillonnages et d’une production riche et sophistiquée.

Le ton est donné dès la première chanson, Para Transcribir (SOL), qui s’ouvre sur des chœurs a capella pour ensuite monter en intensité au fur et à mesure que divers instruments (cuivres, bois) se joignent à la célébration. Eso Que Tu Aces est la plus entraînante du lot, portée par une mélodie sinueuse et une rythmique puissante. Sur No Pude, Pimienta chante sa relation amour-haine avec son pays d’origine, abordant des enjeux de racisme et de corruption institutionnelle en Colombie, sur fond de claviers sombres qui peuvent rappeler l’univers d’une Juana Molina.

La seconde moitié de l’album s’écoute presque comme un document d’ethnographie, avec d’abord un témoignage de Rafael Cassiani, une légende du folklore colombien, suivi d’un enregistrement terrain du groupe Sexteto Tabalá, auquel se greffe la voix de Pimienta, une manière pour elle de conjuguer sa propre histoire avec celle de son pays d’origine. L’album culmine avec l’hymne afro-colombien Resista Y Va, un cri de ralliement pour ceux et celles qui refusent de se taire devant les préjugés, avant de se conclure sur Para Transcribir (LUNA) et ses chœurs magnifiques.

Miss Colombia n’est pas un disque parfait, mais il s’agit d’une œuvre majeure qui nous confronte à nos propres privilèges en nous éveillant à la réalité des populations marginalisées : femmes, immigrantes, autochtones, queer… Toutes des identités dont Lido Pimienta se réclame. C’est aussi ça, le pouvoir de la musique.