Chroniques

L’Étoile thoracique

Ça faisait plus d’un an qu’on ne s’était pas assis au studio de matriçage, Le Lab Mastering, pour un Raconte-moi ton disque. Eh bien, il était grand temps de remédier à la situation. Et pour ce faire, LP Labrèche s’est entretenu avec Klô Pelgag pour discuter de son excellent album paru en fin d’année 2016 : L’Étoile thoracique. Celui-ci a confirmé la jeune femme comme l’une des meilleures plumes sur la scène musicale québécoise contemporaine. L’Étoile thoracique a assis la réputation que Pelgag avait acquise avec son album précédent : L’Alchimie des monstres.

La composition des pièces de L’Étoile thoracique s’est faite peu à peu, au gré des élans d’inspirations de la jeune femme. Klô Pelgag nous explique qu’elle n’est pas atteinte par le syndrome de la page blanche, car elle ne s’oblige jamais à créer. Ça vient naturellement, sans stress. Cela explique aussi que ses chansons prennent souvent des mois, voire des années avant d’être complétées. Peut-être parce que ce n’est pas une règle absolue, L’Étoile thoracique n’était pas un concept muri longuement. L’album s’est construit petit à petit et son identité s’est affirmée lorsqu’ils ont terminé de choisir l’ordre des chansons.

Les mois qui ont précédé l’enregistrement avaient été très occupés pour Pelgag. En août 2015, elle avait déjà hâte que la tournée de L’Alchimie des monstres se termine. Elle était épuisée. En décembre 2015, un spectacle de clôture de la tournée accompagné d’une coupe de cheveux au rasoir devant public a mis un terme à l’aventure. Un geste symbolique qui lui a fait grandement du bien. Puis en février, elle entrait en studio pour son successeur.

Samedi soir à la violence

L’un des deux premiers simples issus de l’album est né d’une situation malheureuse. Klô Pelgag aborde le thème de la maladie et de la famille. Samedi soir à la violence est un endroit imaginaire, un endroit de colère impuissante.

Les ferrofluides-fleurs

Pelgag m’a parlé rapidement de son amour pour les harmonies vocales. Elle s’est gâtée sur son deuxième album en injectant de nombreuses aventures vocales. Ses yeux brillent quand elle me raconte que ce sont ses moments préférés lors de l’enregistrement. Coécrite avec Karl Gagnon (VioleTT Pi), cette chanson parmi les plus joyeuses de l’album s’est construite à partir d’une image bien réelle. Les ferrofluides : liquide devenant magnétique au contact d’un champ magnétique extérieur. Le liquide est attiré par les électro-aimants, formant une conséquence spectaculaire, visuellement magnifique, qui pourrait faire penser à un champ de fleur. Partant de cette image « Les ferrofluides-fleurs poussent au milieu des champs magnétiques », la chanson parle avec légèreté et fascination de la vie et de l’amour.

Le sexe des étoiles

En parlant de cette chanson, il est difficile de ne pas s’arrêter aux magnifiques cordes qu’on y retrouve. Les arrangements ont été signés par Mathieu Pelletier-Gagnon, son frère, qui a étudié au conservatoire de Bordeaux avant de venir s’installer à Montréal. Elles ont été enregistrées au studio 12 de Radio-Canada et l’ensemble est tout simplement magnifique!

Les instants d’équilibre

Klô Pelgag avait une maquette de la chanson, mais n’était pas du tout convaincue du résultat. C’est le réalisateur Sylvain Deschamps qui a donné le ton pour l’habillage de cette chanson, c’est en trio qu’ils ont par la suite approfondi les arrangements. Les instants d’équilibre est la dernière chanson qu’elle a écrite alors qu’elle était à Rivière-Ouelle dans la maison familiale. Elle y parle du passage de l’enfance à l’âge adulte, des difficultés que peut engendrer cette transition, de la désillusion qu’elle amène et de cette insatisfaction constante.

Au bonheur d’Édelweiss

Cette chanson parle du temps qui ramène constamment à l’origine des choses, même lorsqu’on tente de s’en éloigner. Abordant la pièce très sobrement au piano avec l’impression que quelque chose veut éclater dans son for intérieur, les arrangements de Mathieu Pelgag rejoignent le thème principal dans une sorte de tempête qui éclate en plein milieu pour ensuite redescendre et révéler le même piano qu’au tout début, complètement à découvert.

Incendie

Cette pièce dont la musique et le texte se rejoignent de façon très pure, en accord l’un avec l’autre, témoigne d’un amour simple, mais passionné. Il n’y a pas beaucoup d’opposition dans cette chanson, le tout se succédant de façon très souple et fluide jusqu’à un éclat de passion naissant subitement dans l’instrumentation de la partie finale. Pelgag me réaffirme qu’elle aime jouer dans les contrastes, elle aime jouer avec le feu et se surprendre elle-même. Que ce soit par sa voix, par son caractère mélodique, par la musique et sa structure, dans la non-conformité des textes traduisant une poésie propre à elle-même, très lointaine à ce qui a trait à une mode d’auteur. Une musique pleine de risques et de contradictions.

Les mains d’Édelweiss

Édelweiss (prononcé : è-del-ouèsse) est un nom qui est omniprésent sur L’Étoile thoracique. Klô Pelgag m’explique qu’elle l’utilise comme un prénom (prononciation aidant la personnification), faisant référence à la fleur au physique singulier du même nom, délicate survivante des climats durs en montagne et également fleur favorite d’Hitler. Une fleur à la personnalité très contrastée, battante et dont le surnom est « étoile d’argent », faisant ainsi référence au titre de l’album: L’étoile thoracique. Elle l’utilise entre autres comme alter ego pour extérioriser des sentiments moins agréables intimement vécus de manière à se représenter elle-même de façon consciemment plus abstraite, moins axée sur ce « JE » générationnellement omniprésent, plein d’égo et de sensationnalisme.

Les animaux

Sur cette chanson, on entend un instrument plus exotique : l’erhu. Ça lui a pris un long temps avant d’arriver à une version satisfaisante pour elle. Les animaux est une chanson qui ressort du lot en raison de son motif répétitif dans le texte, ce qui est rare dans le corpus de Klô Pelgag.

Chorégraphie des âmes

Probablement la chanson au caractère le plus orchestral de l’album et à l’étendue musicale la plus élaborée, Pelgag m’assure que ce sont les collaborateurs de l’album qui ont sauvé cette chanson, surtout son frère. Elle n’était vraiment pas certaine de vouloir l’inclure étant donné l’époque et les sentiments dans lesquels celle-ci la ramenait, mais Mathieu Pelgag a insisté, l’encourageant à la finaliser pour ensuite en faire ressortir le plein potentiel harmonique.

Au musée Grévin

Je me rends compte que Klô Pelgag et moi partageons le même désenchantement par rapport aux musées de statues de cire. La chanson parle de la désillusion par rapport à la réalité qui est cultivée par le musée. Il est le miroir de ce culte de la célébrité qui est très présent dans notre société contemporaine, où la personnalité semble avoir souvent pris le dessus sur l’art.

Insomnie

Pour la musicienne, c’est l’ovni de l’album. Le début est né d’un désir de Klô d’intégrer une rythmique transcendante, installant cette atmosphère qui plonge dans la réalité des troubles du sommeil. On y retrouve le bagage influent du rock progressif sur sa musique, se révélant au niveau des structures hyperactives et imprévisibles de ses chansons.

J’arrive en retard

J’arrive en retard est une chanson inspirée par la grand-mère de Klô. Comme plusieurs personnes de sa génération, elle était très croyante et passionnée par tout ce qui concernait la religion catholique. Jusqu’à s’oublier elle-même, aveuglément. Elle y retrouvait un réconfort immense et s’y renfermait constamment, d’où cette référence à la prison.

Apparition de la Sainte-Étoile thoracique

Il s’agit d’une pièce instrumentale, suite logique harmonique de la pièce précédente, non sans rappeler les pièces répétitives de Steve Reich. L’idée de la pièce, initiée par Mathieu Pelgag, s’est construite en plusieurs étapes avant de trouver sa véritable légitimité maintenant évidente sur l’album. Les dernières étapes de créations se sont faites au moment du mix, au studio Ferber à Paris, alors que Klô s’est rappelée l’existence d’un vieil enregistrement d’une discussion avec sa grand-mère. Elle avait fait ceux-ci pour l’immortaliser en quelque sorte. La voix étant une des choses les plus intimes et personnelle que nous possédons, c’était une façon d’assurer sa pérennité dans le temps. L’ajout de l’horloge familial, comme un rappel immédiat de sa présence, s’est amené à la toute fin. C’est à ce moment qu’elle a compris qu’elle avait terminé L’Étoile thoracique.

Je me considère privilégié d’avoir passé ces moments en studios avec Klô Pelgag. Celle-ci a fait preuve d’une grande ouverture en me parlant de ses chansons, levant le voile sur son processus créatif et sa façon de façonner les mots et les sons. Elle a fait le tout avec une générosité exemplaire et chaleureuse. J’en sors en respectant encore plus cette artiste et cet être humain que j’apprécie et admire. J’espère aussi que cette entrevue a pu vous donner un coup d’œil furtif dans le monde de cette créatrice funky.

http://klopelgag.com/