Chroniques

LA COMPAGNIE DE STREAMING QUI N’AIMAIT PAS NOËL

Spotify, Apple Music et les autres ne feront pas de cadeaux aux artistes cette année. Un conte de Noël.

 

Il était une fois des musiciens. Des dizaines, des centaines, des milliers de musiciens travaillant tous très dur au nom de la musique. Certains d’entre eux sont connus partout dans le monde, d’autres ont un relatif succès dans leur pays natal, d’autres œuvrent volontairement ou non dans l’ombre de l’anonymat.

LE BALLET DES CHIFFRES

Début décembre 2018, les musiciens et leurs amis entament le bal des rétrospectives de fin d’année. La farandole des meilleures chansons, le podium des plus beaux albums peuvent enfin commencer. Les tops 5 se suivent sans se ressembler, mais une nouvelle tendance montre le bout du nez.

Crédit : Spotify

Tous les utilisateurs du géant du streaming reçoivent une invitation à revisiter leur année d’écoute et partager la bonne nouvelle comme un biscuit en pain d’épices géant. Bien des amoureux de la musique prennent la balle au bond. Les minutes passées à remplir leurs oreilles de chansons deviennent l’affaire de tous sur la place publique. D’autres amoureux de la musique s’étouffent dans leur lait de poule en voyant les chiffres passer.

Les statistiques sont balancées au visage des uns et des autres, telles les boules de neige dans La guerre des tuques. Et ça fait mal. Le streaming engrange des fournées de millions de dollars par jour, mais les rétributions aux petits lutins de la musique que sont les artistes ne sont pas plus que des miettes de biscuits.

Le bonhomme Spotify se révèle être dans cette histoire un Grincheux plutôt qu’un Saint-Nicolas. Sans être le seul vilain, il mène le bal avec sa plus grande part sur le marché, ses millions d’abonnés et le salaire faramineux de ses patriarches.

Le Père Noël s’aperçoit avec frayeur que Spotify est tout le contraire d’un enfant sage. Au cours des dernières années, il enchaîne les mauvais coups.

LA DRAKÉLICTION

Juin allait bon train. Ses fans l’anticipaient avec fébrilité, le rappeur Drake allait sortir sous peu son album Scorpion, une offrande ambitieuse, promise à un succès retentissant.

Personne ne se doutait que le Torontois leur préparait un vilain, très vilain tour. Avec son fidèle camarade des mauvais coups, Spotify, Drake allait reproduire l’erreur que U2 avait eu le malheur de commettre avec Apple Music en 2014, c’est-à-dire enfoncer ses chansons dans le gosier de tout le monde comme on engraisse le canard quand vient le temps de faire du foie gras.

Peu de temps après la sortie de Scorpion, le visage de Drake est sur toutes les playlists. R&B? Drake. Summer Hits? Drake. Ambient Chill? Drake. INDEPENDANT WOMEN??? D.R.A.K.E. Les ventes et streaming de l’album explosent, mais les abonnés de Spotify se plaignent d’un dégât plus grand encore qu’un bol à punch festif renversé sur une nappe blanche. En rétrospective, la farce est considérée comme  un ennuyeux désastre. 99 % des écoutes en streaming viennent d’à peine 10 % des chansons disponibles. Drake et Spotify semblent se régaler de cette iniquité.

DE FAUX LUTINS À L’ATELIER

Les playlists sont un peu comme une ballade en traîneau.

Allez-hop, allez-hop, allez-hop, ohé! Une chanson n’attend pas l’autre dans une aventure musicale ébouriffante où l’on connaît la destination générale sans pouvoir prédire les surprises à chaque détour. Et parmi ces surprises, il y a celle horrifiante où l’on comprend que tout ce temps, la neige était en styromousse et les sapins, en carton.

En 2017, Spotify est accusé de sous-payer une poignée de musiciens pour qu’ils créent sous des avatars inventés, de la musique à en remplir les playlists. Piotr Mitreska, Benny Treskow et les autres pourraient se féliciter d’avoir des millions d’écoutes sur la plateforme, si seulement ils existaient ailleurs que dans les méandres du streaming. Le flou persiste encore aujourd’hui sur la véritable implication du géant suédois et la destination qu’ont prise les millions de dollars engrangés par ces écoutes, bien que plusieurs indices pointent en direction du paradis des IKEA.

UN RÉVEILLON UN PEU MOROSE

Le tour d’horizon des géants du streaming raconte une histoire presque aussi désolante que celle de la petite fille aux allumettes.

Les musiciens qui souhaitent émerger et vivre de leur art se butent sur leur chemin à une enfilade de compromis, de faux espoirs et de feux de paille. Alexandre Archambault est travailleur autonome en marketing culturel, membre de la formation Mort Rose et consommateur avide de chansons, streamées ou non. Il s’exprime sur cette ambivalence universelle à l’égard de Spotify.

« C’est un monde à deux branches. Du côté négatif : le streaming est une vraie joke pour les artistes. C’est un peu le Costco de la musique. Pourtant Spotify a un fort potentiel. Le positif, c’est qu’une énorme démocratisation de la musique est désormais possible. La plateforme est mondiale et a permis à mon band d’être écouté dans 43 pays. Les niches deviennent plus grosses à cause des algorithmes. La plateforme aide à avoir un rayonnement à l’international. »

UN HAPPY ENDING?

Alexandre entame un nouveau chapitre à l’histoire :

« Mon impression, c’est que le monde s’en va vers une conscience sociale. Spotify et les siens devraient suivre le pas, revoir leur modèle d’affaires. En tout cas, les artistes n’ont pas fini de chialer. »

Les artistes sont justement de ceux qui arrivent avec des solutions.

Damon Krukowski, détracteur des géants du streaming et ex-Galaxie 500, met entre nos mains des outils pour arriver à écouter intelligemment sa musique à l’ère du streaming. Il nous conseille entre autres de :

1— Viser petit en achetant local et en privilégiant les concerts intimes aux méga-spectacles-où-t’as-besoin-de-jumelles-pour-voir-l’artiste.

2— Favoriser des contextes d’écoute où un maximum d’information est disponible sur l’artiste. Exit les playlists où les chansons paradent sans que l’attention s’y pose, bienvenue aux articles en profondeur sur des mouvements culturels marginaux.

3— Ne pas bouder la musique gratuite si l’échange se fait d’un individu à l’autre plutôt que d’une corporation à un individu. Demandez des mixtapes maisons à vos amis musiciens, écoutez les radios universitaires, etc.

4— Ne jamais sous-estimer le pouvoir des initiatives populaires. Le monde, même bien emmitouflé, ne serait jamais complètement à l’abri des révolutions.

Le matin de Noël, Spotify, Tidal, Apple Music, Youtube, Deezer et tous les autres vilains garçons se réveillèrent au son d’une pulsation mystérieuse. Se frottant les yeux, incrédules, tous sautèrent hors du lit se mirent à chercher ce qui, dans la pièce, pouvait bien faire ce bruit étrange et constant. Le père Noël s’était enfin décidé à leur faire un cadeau. Un cœur battait désormais au creux de leur poitrine.

Fin.

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