Chroniques

L’absence de compromis — Entrevue avec Loud

Le vendredi 20 mai, Loud lancera son troisième album solo, Aucune promesse. Entrevue avec un rappeur très lucide qui réfléchit à sa pratique.

À l’écoute d’Aucune promesse, on remarque rapidement que le côté plus pop de Loud, qui avait sa marque avec des pièces comme Toutes les femmes savent danser, est en grande partie évacué. Ce n’est pas le fruit du hasard. Simon Cliche Trudeau ne s’en cache pas, il ne le sentait pas. Influencé par l’ambiance générale laissée par les deux dernières années, il avait envie d’autre chose. « Normalement, je serais revenu plus vite que ce que j’ai fait là. Mon habitude c’était un an, un an et demi entre chaque projet, mais là, on parle de presque trois ans. Ça m’a permis de commencer dans un certain sens, qui était dans la continuité de ce que j’avais fait avant, et de réaliser que ça ne fonctionnait pas en ce moment pour moi. Ce n’est pas ça que j’avais envie de faire. Puis, ça m’a permis de partir, je ne veux pas dire complètement dans un autre sens, mais de m’enligner un peu ailleurs. »

Être à l’écoute de soi

Ce qui m’a frappé chez Loud au fil de notre discussion, c’est le niveau d’analyse qu’il porte face à sa pratique. Alors que certains artistes ont tendance à suivre leur instinct, Loud réfléchit à ses choix et sait en parler de manière articulée. Rien ne semble laissé au hasard. Et cette lucidité est impressionnante. Une lucidité qui lui permet d’être à l’écoute de ses envies profondes : « j’avais une soif d’une musique plus sérieuse… d’une certaine manière; moins dansante, moins légère dans son propos et sa qualité musicale. Je le sentais pu ces affaires-là. Uber Eats Freestyle, I Said What I Said, c’est un peu la base de ce qui a été le reste de l’album. On se disait tout le temps, le hit, on le fera plus tard. Puis finalement, on s’est dit : faisons-le pas. Parce que quand tu te dis que tu le fais parce qu’il faut que tu le fasses, c’est là que ça devient une mauvaise idée. Je veux juste un album que j’aime. Et que l’équipe qui a travaillé dessus aime. »

C’est ce qui a mené vers un album beaucoup plus rap qui s’éloigne des formules qui ont permis à Loud de se faire connaître d’un large public. Sa relation au rap est un amour qui semble aussi animé qu’à la première journée. « Si on pense qu’il faut toujours faire des compromis pour amener les gens à écouter du rap, je pense qu’on est responsable du fait que c’est seulement ce genre de rap-là qui fonctionne. Si je refais à chaque fois Toutes les femmes savent danser, pas que je n’aime pas cette chanson-là, c’était le fun à faire et ça m’a servi, mais si je le refais à chaque fois, on ne va parler que de celle-là. »

Ce n’est pas seulement une observation qu’il applique à ses chansons. C’est vrai aussi pour le reste de la scène hip-hop québécoise qui a ouvert une brèche plus grande à la radio commerciale au cours des 5 ou 6 dernières années, mais qui reste cantonnée dans un genre de rap en particulier : « À part CKOI qui prend un peu risque une fois de temps en temps, c’est toujours les tounes évidentes; celles avec un petit backbeat reggae. C’est normal, c’est ça la radio, il faut que ça plaise à tous, à un plus large public. » Pour Loud, cette fois-ci, il n’était pas question de poursuivre dans cette direction. C’est peut-être aussi ce qui explique le titre : Aucune promesse.

Le travail d’équipe

S’il a pu se lancer dans cette direction avec confiance, c’est aussi parce qu’il est bien entouré. Ce sont Ajust et Ruffsound qui sont garants au niveau musical des chansons qui se retrouvent sur l’album. Le duo de réalisateurs-compositeurs fait partie de l’entourage de Loud depuis l’époque de Loud Lary Ajust. « J’ai pratiquement tout fait ce qui est pertinent avec eux. On est rendu qu’on ne se pose pas de questions sur le processus. On se connait tellement bien, on se comprend et on a beaucoup de références en commun. Notre culture musicale, elle est similaire et nos goûts se rejoignent. […] Ça fait partie de notre fun, de nous faire entre nous de la musique qui va nous plaire. Et c’est ça qu’on fait parce que pendant des mois, il n’y a que nous qui écoutons les pièces et il faut qu’on ait envie de les réécouter. »

Le travail d’équipe ne s’arrête pas derrière la console sur Aucune promesse. On y retrouve quelques collaborations sur l’album. Il y a même un choix un peu controversé, puisque White-B purge en ce moment une peine de prison. Ça faisait longtemps que Loud voulait travailler avec White-B et plus largement 5sang14 parce qu’il trouve que c’est l’un des groupes les plus intéressants du rap québécois des dernières années. Pour le rappeur, le street rap et celui qui est plus largement accepté par l’industrie musicale québécoise sont plus proches les uns des autres que ce qui pourrait être perçu de l’extérieur. « Quand on se met à parler de musique, on est beaucoup plus proche que ce qu’on peut penser. Tout ce pan de rap là (le street rap), il ne faut pas le mettre à part et le marginaliser. » Il n’a aucune raison de se dissocier de la chanson et de l’artiste. Il invite plutôt à parler directement à White-B pour avoir sa vision des événements. Par contre, il le dit sans détour : « Je sais une chose, c’est un artiste avec qui je voulais travailler. C’est quelqu’un que j’ai rencontré plusieurs fois avant de travailler avec et que je considère comme un ami. C’est un gars censé, malgré que ce soit difficile à croire quand on prend un événement isolé d’une autre époque. Moi je n’ai pas envie d’être hypocrite; de faire la toune et de m’en dissocier quand ça devient un peu bizarre. Je l’assume à 100%. »

Ce n’est pas la seule collaboration sur Aucune promesse. C’est le cas aussi sur Win Win alors qu’il est rejoint par Raccoon et Imposs, un jeune de la relève et un vétéran qui a fait beaucoup pour la scène québécoise. Cette chanson où Loud nomme ses privilèges et parle de la nécessité de partager une fois qu’on est rendu établi avait été enregistrée et sa partie était prête quand il a contacté Imposs pour qu’il ajoute son grain de sel sur la pièce: « Le sujet et le genre de beat amenaient naturellement à Imposs. Pour le sujet, parce qu’il a une autre perspective que la mienne et une expérience différente. J’ai l’impression que ce sont des sujets que Muzion abordait il y a 20 ans et plus. J’aime qu’il puisse en parler du point de vue de quelqu’un qui voit comment les choses changent, mais aussi ne changent pas. » Pour Raccoon, c’était un choix logique puisque c’est un jeune rappeur en pleine ascension qui est toujours en train de gravir les marches. « La chanson, elle parle de se questionner sur comment utiliser ce qu’on a acquis pour outiller le prochain. C’est un peu l’idée de passer le flambeau. Dans une vision utopique, c’est que ce soit un cycle. Imposs le dit : il a mis la fondation pour les prochains. C’est pour ça que Raccoon finit l’album et que je ne reviens pas par la suite. Ça fait aussi référence Moment of Clarity de Jay-Z où il dit : So I got rich and gave back to me, that’s the win, win »

Célébrer le passé

S’il y a une autre grosse chose qui arrive dans la vie de Loud prochainement, c’est le concert aux Francos pour célébrer les 10 ans de Gullywood. Il a simplement dit : « ça va être un bon concert ». Le trio LLA a commencé à travailler sur le tout et on peut s’attendre à un spectacle mémorable.

Aucune promesse paraît le vendredi 20 mai.

Pour des billets de la tournée, c’est par ici.

Crédit photo: Wiliam Arcand

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