Actualités

Les petites salles de spectacles du Québec se portent mieux

Grâce à l’appui de l’association québécoise Les SMAQ, une cinquantaine de salles de spectacles indépendantes ont pu jouir d’une meilleure reconnaissance et de plusieurs aides financières publiques auxquelles elles n’ont jamais eu accès avant.

Le Canal Auditif a rencontré le Quai des Brumes à Montréal, le Zaricot à Saint-Hyacinthe et le Pantoum à Québec afin de discuter des enjeux et des réussites que ces petits lieux de diffusion ont vécus durant la dernière année


On le sait bien, la pandémie mondiale de COVID-19 en a fait voir de toutes les couleurs au milieu culturel de la province. Fermeture des salles, annulation des spectacles, pénurie de main-d’œuvre, application des mesures sanitaires changeantes, pertes de revenus… On en passe. Pour les salles de spectacle se trouvant à l’extérieur des circuits de diffusion institutionnels, le défi de la réouverture est un de taille.

Heureusement, l’association des SMAQ (Scènes de Musiques Alternatives du Québec) s’est retroussé les manches pour aider nos petites salles de spectacle à reprendre leurs activités cet automne.

Dans le cadre de la campagne Branchez-vous sur les SMAQ, ce sont 600 spectacles qui ont été programmés dans 20 établissements ciblés, entre septembre et décembre. Ce projet de promotion et d’entraide créé en pandémie par les SMAQ visait à inciter le public à retourner voir des concerts en présentiel dans leurs petites salles locales.

Le public est au rendez-vous

Julia Blais est la programmatrice du Quai des Brumes, l’un des bars-spectacles les plus influents de Montréal. Elle se réjouit de la quantité de billets vendus aux deux concerts par soir qu’elle a organisés cet automne : « Tous les shows sont sold out ». L’un des bienfaits de la pandémie, explique-t-elle, c’est que les laissez-passer peuvent se vendre à un prix un plus dispendieux, vu leur faible capacité en salle. « Les bands peuvent vendre leurs billets à 15 ou 20$, chose qui ne se faisait jamais», signifie-t-elle. L’espace leur permet d’accueillir entre 45 et 55 personnes assises au lieu de 200 debout.

Mme Blais note également que ce « nouveau » public est très attentif. « C’est le point le plus marquant, en fait. Normalement, t’avais toujours une gang qui s’asseyait au bar et qui parlait vraiment fort par-dessus la musique. Là, c’est le silence total, ça applaudit super fort, l’ambiance des shows est vraiment belle. Il y a un bel échange entre le public et la musique en ce moment. C’est vraiment émouvant chaque soir. »

Le directeur général et cofondateur du Pantoum à Québec Jean-Étienne Collin-Marcoux commence, quant à lui, à flirter avec l’idée de remplir à l’occasion, deux fois au lieu d’une, sa petite salle de 35 places. « Si on voit que les billets s’envolent vite, on propose de faire une supplémentaire soit le soir même, soit la veille ou le lendemain, explique-t-il. Ça se fait super bien et on respecte mieux nos horaires », ajoute-t-il à la blague.

C’est la première fois depuis la fondation du Pantoum qu’il a besoin de penser à une seconde représentation d’un spectacle à cause de la surenchère. Comme leur ligne directrice a toujours été l’émergence et la découverte, il n’était pas rare que leurs 100 places d’antan ne se remplissent pas.

Du côté du Zaricot, situé à Saint-Hyacinthe en Montérégie, la programmatrice et copropriétaire Joëlle Turcotte affirme que les soirs de concerts sont les meilleurs pour la business. « Je trouve qu’on a même un meilleur achalandage qu’avant », avoue-t-elle. Au niveau des soirées régulières, le bar de quartier note toutefois une perte de rythme depuis la fin de l’été.

Des programmations plus diversifiées

Les trois salles ont tenu leurs promesses du printemps 2020, celles de reprogrammer les artistes dont les spectacles ont été déplacés puis annulés maintes fois. Ensuite, il leur a fallu sortir de leur zone de confort pour bonifier leurs programmations.

Pour Mme Blais, la configuration cabaret de sa salle l’amène à sortir du carcan de la programmation classique du Quai des Brumes. « Je dirais que ça diversifie maintenant la programmation — elle l’était déjà beaucoup, mais je ne me force plus à mettre un band party le vendredi, parce que je sais que ça va se remplir de toute façon », ajoute-t-elle.

Mme Turcotte sent que l’intérêt de ses clients est plus important et diversifié qu’avant pour les nouveaux artistes. Ses 75 places — au lieu de 160 — peu importe le style de musique se vendent facilement. « Je remarque que plein de shows que j’aurais difficilement pensé être rentable se remplissent finalement. Peut-être que les gens ont plus le goût de découvrir qu’avant? Je suis très contente de ça. Ça nous permet d’avoir une programmation un peu plus éclatée, d’essayer autre chose. »

De l’aide financière comme jamais auparavant

« On est dans le jus dans les derniers mois parce qu’on remplit tellement de demandes de subventions. Je n’ai jamais vu ça ! »

Jean-Étienne Collin-Marcoux, Pantoum

Il aura fallu que le milieu des arts et spectacles lance un ultime S.O.S. à pareille date l’an dernier afin qu’il soit entendu. Les SMAQ, le mouvement Musique Bleue et d’autres regroupements semblables ont rédigé des lettres ouvertes et se sont mobilisés auprès des gouvernements pour activer la machine. Aujourd’hui, le Zaricot, le Quai des Brumes et le Pantoum s’accordent pour dire que l’aide financière reçue a fait beaucoup de bien.

« Les décideurs n’ont pas notre mode de fonctionnement en tête lorsqu’ils prennent des décisions, souligne Mme Turcotte. C’est pour ça que les SMAQ sont essentiels, pour leur rappeler qu’on est là, qu’on existe et qu’on ne vit pas la même situation que les autres ». Ces « autres »-là, ce sont les grandes salles de spectacles comme la “Famille” Bell ou encore les réseaux de diffusion subventionnés comme RIDEAU ou le ROSEQ.

Selon M. Collin-Marcoux, il était temps que des programmes d’aide financière aux organismes culturels alternatifs soient mis à leur disposition. « Depuis le début, nous sommes les fantassins de l’industrie musicale, on est sur les premières lignes et c’est nous qui mangeons la claque tout le temps afin que les artistes se développent pour finir par aller dans les grosses salles. Je ne sais pas s’ils [les décideurs] ont réalisé que l’écosystème était fragile et qu’il fallait investir dans les racines de tout ça », questionne-t-il.

Le cofondateur du Pantoum relève que très peu de petites salles de spectacle existent à Québec. Il souligne au passage la perte du Cercle, peu avant la pandémie. « Les gens qui n’avaient pas d’emploi dans ce milieu-là se sont revirés vers nous. Là, on a des ressources plus que jamais pour porter ces projets-là à bout de bras. On a toujours roulé avec très peu de revenus, genre avec les moyens du bord et de façon très DIY. Ça fait en sorte que quand la pandémie a frappé, on était habitués à travailler sans avoir de ressources. On a été capable de se revirer de bord facilement, de revoir notre structure et même d’aller chercher de l’aide gouvernementale. On est capables de travailler avec peu et de faire de grosses affaires avec ça », se targue-t-il.

C’est la force des petites salles de spectacles, d’avoir toujours su tirer leur épingle du jeu avec peu de moyens. Bien que la reprise des spectacles en formule présentielle soit entamée et que les subventions soient plus accessibles, rien n’est gagné pour Mme Blais, qui travaillait au Divan Orange avant la fermeture définitive des lieux.

« Il n’y a pas une autre salle autour de laquelle je vais graviter qui va fermer, se promet Mme Blais. La fermeture du Divan donne une méchante bonne motivation pour s’arranger pour que ça aille bien, parce que tu ne veux pas voir une autre salle fermer. »

Encouragez les salles de spectacle indépendantes de votre région cet automne !

Cet article a été rédigé en collaboration avec CULTIV.

Crédit photo: Camille Gladu-Drouin (2019)