Pitchfork Music Festival 2018 – Samedi
Chicago est bien pluvieuse en ce samedi, c’est donc seulement vers 16 h que j’arrive dans l’Union Park pour cette deuxième journée du festival de Pitchfork. Juste à temps pour Moses Sumney et le soleil. Le Californien fait compétition à l’astre solaire, même s’il n’est vêtu que de noir. Sa voix est époustouflante : l’éclectisme de Thom Yorke, la voix perchée de Patrick Watson et la prestance funk de Prince. Imaginez-vous toutes ces caractéristiques en une seule personne et vous aurez une idée de ce que j’ai vécu. À la fin d’une pièce il s’exclame « That was basically a wet dream for you guys », tout sourire. Son charme est universel, faites attention!
Accompagné par des images d’auto et de VTT faisant du drift, sur lesquelles sont superposées des extraits de clips de Bow Wow, Outkast et Lil Wayne, Blood Orange amorce seul au piano son spectacle. Dire que c’est incongru serait un euphémisme, mais je ne déteste pas du tout.
Une pop délicate des années ’80 dont les sons synthétiques contrastent bien avec la voix androgyne de Devonté Hynes. Sa prestation fascine. Il troque les balades mélancoliques aux solos de guitare dont le funk plairait à Nile Rodgers. Son groove est indéniable. Sa complicité avec ses choristes est palpable. Tout le monde danse sur l’herbe du parc. J’ai l’impression d’être dans une comédie musicale des années 80.
Hynes quitte avec une audience à ses pieds, je me déplace pour attraper une partie du spectacle des légendes britanniques This Is Not This Heat. Dès que j’arrive devant la scène bleue, le clarinettiste se lance dans un solo de 3 minutes durant lesquelles il joue seulement avec la hanche de l’instrument. Pour ceux qui, comme moi, ne pensaient pas qu’une clarinette pouvait sonner punk, on se trompait. Fascinant et agressant.
L’objectif maintenant, c’est d’être le plus près de la scène pour Fleet Foxes, c’est donc d’une oreille distraite que j’écoute The War on Drugs. Les rockeurs de Philadelphie sont bien présents, livrent avec beaucoup d’énergie leur rock americana psychédélique. Mention spéciale au batteur avec son foulard de jeans qui avait autant d’énergie qu’un batteur de Glam métal. La foule s’excite, même si la prestation renforce mon impression que le band joue du Bruce Springsteen un peu édulcoré. Agréable, mais convenu.
20 h 30. Le folk et les harmonies vocales prennent le contrôle de l’Union Park. Pas mal sûr que si les montagnes faisaient l’amour, elles le feraient en écoutant du Fleet Foxes pour se mettre dans l’ambiance. En tout cas, c’est l’impression que me donne la bande de Seattle, portée par la voix exceptionnelle de Robin Pecknold. Le chanteur semble intouchable lorsqu’il pousse la note. Difficile de l’imiter, mais nous sommes plusieurs à faire de notre mieux pour le suivre. C’est une expérience profondément humaine que d’entendre un parc au complet participer au chœur guidé, mais jamais demandé, par Pecknold.
Ils enchaînent les chansons à un rythme effréné. Leur temps sur scène est chargé de tellement de succès offrant aux admirateurs survoltés le meilleur. Ils passent de leurs titres plus anciens aux plus récents avec aisance. L’organisation des pièces ne fait que confirmer la qualité du groupe, qui évolue avec panache depuis leur début. Le groupe est reconnu pour sa facture acoustique intègre de plus en plus l’électrique, en élevant ses accords délicats vers de nouvelles hauteurs. Outre la performance magistrale de Pecknold, je suis émerveillé par l’aisance sereine avec laquelle Morgan Henderson, passe de la flûte traversière, au violoncelle, au tambourin, au saxophone et à la guitare. Il fait tout simplement tout.
Ils nous laissent sur une reprise de Curtis Mayfield. La voix cristalline de Pecknold fonctionne bien avec la soul tonitruante du natif de Chicago. Les renards quittent, mais les spectateurs voudraient rester toute la nuit. La fin des prestations est rigoureusement respectée par tous les artistes, mais en tant que tête d’affiche Pecknold se permet un rappel. Seul à la guitare, il entonne Oliver James aidé par quelques centaines de choristes ravis. La faible pluie qui tombait s’arrête pour écouter elle aussi. Il nous remercie une dernière fois en faisant quelques courbettes rapides avec son sourire d’écureuil nerveux.
Une deuxième journée magistrale avec un éventail impressionnant de voix masculines. Malgré la pluie, une ambiance de fête flotte à l’Union Park. On a l’impression de faire partie d’une communauté ouverte, joueuse et toujours prête à danser ou chanter. Dimanche s’annonce mémorable.
Crédit photo: Camille L. De Serres