GrimSkunk
Unreason in the Age of Madness
- Indica Records
- 2018
- 39 minutes
Une trentaine d’années à crier sa rage contre l’ordre établi aurait pu user bien des groupes. Mais avec leur plus récent album Unreason in the Age of Madness, lancé à la fin-avril, les vétérans de GrimSkunk montrent qu’ils ont toujours le feu qui brûle en dedans, sur fond de musique inclassable qui mélange punk, ska et prog. Un disque honnête qui fait belle figure dans une discographie déjà bien garnie.
En avril dernier, j’étais au Beat et Betterave dans mon patelin de Frelighsburg pour voir GrimSkunk sur scène. L’événement avait un fort parfum de nostalgie pour moi. Il y a 20 ans, dans mes années de cégep, j’ai dû voir le groupe dix fois en spectacle, perdant même mes souliers dans un fameux mosh pit à Rimouski. Mais tranquillement, je me suis désintéressé du parcours de la formation après le désespérant Seventh Wave (2002), préférant garder intact mon souvenir de cette belle époque.
Mais ce que j’ai vu ce soir-là ne ressemblait en rien à des rockeurs usés par le temps. Pour la plupart au tournant de la cinquantaine, le guitariste-chanteur Franz Schuller, le claviériste-chanteur Joe Evil, le guitariste Peter Edwards, le bassiste Vincent Peake (aussi membre fondateur de Groovy Aardvark) et le batteur Ben Shatskoff (le plus jeune de la formation) semblaient n’avoir rien perdu de leur fougue.
Unreason in the Age of Madness, neuvième album en carrière de GrimSkunk, fait lui aussi la preuve que le groupe a su retrouver sa pertinence, surtout dans le contexte sociopolitique actuel, où la peur de l’autre est devenue le prétexte parfait pour se replier sur soi. Bien sûr, les enjeux ont changé. Ainsi, terminés les hymnes à la légalisation du cannabis (qui eût-cru que le Canada légaliserait un jour le pot quand GrimSkunk chantait Pourquoi pourquoi ne pas fumer au début des années 90?), et la formation s’en prend plutôt au racisme, à l’Amérique de Donald Trump, à la National Rifle Association (NRA) et aux réseaux sociaux.
S’il faut en croire le groupe, l’écriture de ce nouvel album a parfois été laborieuse. En entrevue avec Le Devoir au printemps, le bassiste Vincent Peake a raconté comment le réalisateur Garth Richardson (Rage Against the Machine, Red Hot Chili Peppers) a renvoyé les gars à leurs devoirs après une rencontre préenregistrement : « On n’était pas prêts, il nous a revirés de bord. Ça nous a fouettés en criss. »
La griffe de Richardson se fait sentir dès la première chanson, l’excellente Let’s Start a War, qui combine un riff de guitare assassin à un phrasé qui rappelle le classique Killing in the Name de Rage Against the Machine, le tout sur un texte enragé sur les dérives d’un État policier. Le brûlot anti-NRA The Right to Bear Harm est un autre titre lourd, dans l’esprit de Don’t Hide, une immortelle du groupe.
Comme c’est son habitude, GrimSkunk ratisse large avec un éventail de styles qui passe de la musique traditionnelle russe (Les insoumis) au ska-jazz à la Cat Empire (Hanging Out in the Rain), en passant par le folk intimiste (la jolie ballade Starlight, avec Jorane au violoncelle), le reggae (Same Mistake) et le rock progressif (Computer Screen). Les titres les plus faibles sont ceux où le quintette semble déchiré entre son désir de maintenir son étiquette underground et celui de produire une musique plus accessible, tels Dead Before You Start, avec son rock alternatif convenu, et Gimme Some Revolution, qui me rappelle le mauvais pop punk du début des années 2000.
C’est ce qui fait que ce Unreason in the Age of Madness, malgré toutes ses belles qualités, n’atteint pas la stature des plus grands crus du groupe, comme l’éponyme GrimSkunk (1994) ou Fieldtrip (1998). Mais après un silence de six ans, et quelques albums passablement ordinaires, les vétérans de la musique alternative au Québec font ici une belle preuve qu’on a toujours besoin d’eux, 30 ans plus tard…
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