Chroniques

Butthole Surfers

Independant Worm Saloon

  • Capitol Records
  • 1993

Dès les premières notes du premier album des Butthole Surfers paru sur une étiquette de disque majeure, on comprend tout de suite que la bande n’a pas laissé son côté déjanté dans les petits caractères de leur contrat.

« I’m flying, I’m flying away » entend-on en boucle dans une voix « distorsionnée » juste avant la frénétique ouverture de Who Was In My Room Last Night avec sa grosse ligne de basse. Électrisante entrée en matière pour le groupe de garage psychédélique qui n’a jamais renié ses racines, chez les Stooges notamment, et c’est avec un brûlot qui ne les aurait pas fait rougir que Butthole fait décoller Independant Worm Saloon.

Pour son premier album chez Capitol, ce qui n’a pas fait que des heureux parmi les fans du groupe, Butthole Surfers embauche John Paul Jones. Oui, oui, l’ex-bassiste de Led Zeppelin, pour réaliser ce qui deviendrait Independant Worm Saloon. Malgré cette association de marque, on retrouve sur cet album exactement ce à quoi on s’entend des Butthole : du non-sens de gars « buzzé », du gros punk psychédélique et un humour trash semi-malsain. Goofy’s Concern, Some Dispute Over T-Shirt Sales, Dust Devil ou encore Annoying Song correspondent à l’esprit « proto-jackass » de la bande à Gibby Haynes.

Pour la petite histoire, on se souvient qu’à cette époque, le groupe se plaisait à diffuser en concert une vidéo illustrant dans les moindres détails une opération de reconstruction d’un pénis. Parfois diffusé à l’envers, le court métrage fait carrément vomir certains spectateurs tant il est insoutenable. Tout ça, alors que Haynes et sa bande consomment du LSD ou de la mescaline sur la scène, encourageant la foule à en faire tout autant.

Heille, les années 90 pareil, hein ?

Donc, là où Independant Worm Saloon étonne, ce n’est pas dans la réaffirmation de son côté globalement WTF, vous l’aurez compris. C’est dans sa capacité à bricoler des refrains fédérateurs et des mélodies de grande qualité. Butthole Surfers signe sur ce disque quelques-unes de ses meilleures compositions. Parmi ses ovnis, la superbe Wooden Song trône comme la plus belle surprise du lot. Brillant texte, poignant refrain, efficace mélodie et même… de l’émotion. Ce sens du « hook » préfigurera sur Independant Worm Saloon les succès que seront Pepper et Cough Syrup sur ElectricLarryLand (1996).

L’autre des grandes forces de ce disque tient dans la puissance de la production. Alors que les albums précédents de Butthole Surfers avaient ce côté « tout croche broche à balle », on a ici un disque qui sonne comme un paralume de l’autoroute 720. Les guitares grinçantes et le bordel ambiant du groupe s’enracinent dans la section rythmique dûment enregistrée. Résultat : on entend très bien les complexes lignes de basse et les attaques de batterie, comme l’usage judicieux du double « bass-drum » sur Dog Inside My Body, probablement un des meilleurs titres ici d’ailleurs.

Bref, pourquoi revisiter Independant Worm Saloon ? D’abord pour l’arrogance. Utiliser le mot « indépendance » comme premier mot d’un titre d’album qui se fait taxer, avant même sa sortie, d’avoir vendu son âme indépendante à une corporation (qui mange des bébés pour déjeuner sans doute), c’est un sacré pied de nez.

Ensuite, eh bien, parce que c’est simplement un excellent album, avec un bon « pacing » comme disent les Chinois. En un peu plus de soixante minutes de lecture, on se plaît à écouter Haynes, Paul Leary, Jeff Pinktus et King Coffey jouer ces chansons bien ficelées, livrées à un niveau jusque là inégalé de précision et d’inventivité.

En terminant, pour les envies que pourrait vous procurer l’écoute d’Independant Worm Saloon, les Butthole vous rappellent d’éviter les opioïdes et de choisir les hallucinogènes.

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