Chroniques

Dossier spécial | Regards croisés sur la chanson francophone de l’ADISQ : La chanson francophone en tant que vecteur d’une identité et d’une langue

Le 26 septembre dernier, des membres de l’industrie musicale étaient conviés à l’UQAM pour une journée entière de réflexion philosophique sur l’état de la chanson au Québec et au Canada. Loin des préoccupations financières, la journée était là pour poser des questions profondes sur l’état des choses actuellement au Canada. Dans ce premier texte, on aborde la chanson francophone en tant que vecteur d’une identité et d’une langue.

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Au cours de dernières années, la question de la chanson francophone et son rayonnement a été discutée abondamment. En consultant les chiffres d’écoute en ligne, qui se passe principalement sur des plateformes étrangères, on se rend compte que nos artistes sont noyés dans une offre importante. En 2024, selon l’Institut de la statistique du Québec, les écoutes d’artistes québécois sur les plateformes en ligne étaient de 7%, toutes langues confondues. Quand on se penche sur les enregistrements en français, on tombe à 4,6%. À une ère où les radios commerciales demandent de réduire leurs quotas de musique francophone, l’importance de celle-ci dans l’identité devient une question primordiale.

L’identité ou les identités?

Danick Trottier, musicologue à l’Université du Québec à Montréal et spécialiste de la musique québécoise, met en garde contre la tentation de simplifier la conception contemporaine de l’identité. « Parler d’identité en musique, c’est inévitablement mettre le pied dans un engrenage aux multiples ramifications qui vont de la culture au symbolique en passant par les représentations, l’appartenance et j’en passe. On peut se servir de plusieurs images pour représenter cet état de fait, mais celle du kaléidoscope me semble être assez juste. La notion d’identité se reflète de façon multiple, mais surtout très variable selon l’angle choisi, tout autant que les faits retenus. » Autrement dit, lorsqu’on entre dans la notion d’identité, on entre en terrain où les biais qui sont collés à la démarche influencent les conclusions que nous allons en tirer. De plus, l’identité, c’est ce qui relie l’individu à son environnement social. C’est à la fois une notion collective et très individuelle. Ce qui rend toute réflexion sur la chanson d’autant plus compliquée.

De plus, l’identité, même si elle est propre à l’individu, peut parfois être apposée par la société. À ce titre, Yao, auteur-compositeur-interprète, en avait long à dire. Étant installé en Ontario francophone depuis 26 ans, il ressent toujours les frictions de la reconnaissance de son identité à part entière : « Cette fragmentation est importante parce que l’identité francophone même est à questionner. Qu’est-ce qu’une identité francophone? On l’a mentionné avec les différentes identités canadiennes. L’Ontario, par exemple, se revendique de cette chanson francophone, mais il y a encore des dilemmes à évaluer dans la francophonie ontarienne. Il y a quelques années, Radio-Canada avait fait un sondage à savoir c’est quoi la musique francophone en Ontario? Et pour beaucoup de gens, c’était Stef Paquette avec sa guitare dans le nord. Ça fait 26 ans que je suis là. Et il y a cette conversation-là justement de se demander : mais est-ce que, nous aussi on peut se revendiquer comme artiste franco-ontarien? C’est quoi l’identité francophone en Ontario quand, au final, le recensement de 2021 te dit que les 7 principaux pays d’immigration francophone en Ontario sont en Afrique ? »

L’effritement ou la ferveur de l’identité?

S’il y a peut-être des questions sur la fragmentation de l’identité proprement dite, il y a aussi un vent de ferveur qui souffle sur la jeunesse. On peut prendre l’exemple de Lou-Adriane Cassidy sur la scène principale des Francos de Montréal, où les drapeaux fleur de lys flottaient allègrement, comme le rapporte Dominic Tardif dans La Presse. On peut aussi parler du phénomène Kinji00 qui enflamme les réseaux sociaux depuis un an et demi et qui est en train de percer dans la sphère grand public. Cet été au FME, il faisait notamment une apparition sur scène pendant un concert de Mike Shabb, un artiste québécois anglophone, qui a lui a fait de la place pour chanter sa pièce Fleur de lys, drapeaux à l’appui.

Krista Simoneau, directrice de Les Yeux Boussoles, le voit à travers ses propres enfants : «Mais voilà, je trouve qu’elle évolue très bien depuis les dix ou neuf dernières années, mais depuis toujours. Mais moi, des fois, je pense que je suis très optimiste, et j’aime beaucoup la chanson francophone. Elle est extrêmement présente, même chez les jeunes aujourd’hui. Je le constate, je le ressens. Je sais qu’elle est noyée à travers l’anglophone. On a besoin de plus de découvrabilité, mais j’ose croire qu’elle est importante ici. »

L’importance qu’elle soit présente dans la sphère publique

S’il y a des enjeux autour de la découvrabilité et des quotas de radios, c’est que pour la survie et surtout pour l’amélioration de l’industrie musicale dans son ensemble, il faut que la musique québécoise et francophone soit présente partout. Krista Simoneau le dit bien : « Il y a tellement de la bonne musique, il y en a tellement de la colorée. […] Ça passe par la découvrabilité et je pense que c’est important de le garder ces quotas là au niveau de la diffusion des radios. Je réfléchissais hier à ça et je me disais comment on l’amène dans l’espace public encore plus loin : dans les épiceries, dans les ascenseurs, quand t’attends en ligne à la SAAQ. Il faut que ça soit naturel et on entendait le gouvernement en ouverture, qui disait qu’il va s’y mettre sur la découvrabilité. J’espère que ce mouvement-là va continuer. »

Nicolas Ouellet, animateur à ICI Musique, qui animait le panel a aussi renchéri : « Si je peux me permettre une réflexion aussi, il y a cette idée de ne pas mettre la chanson francophone comme un monolithe et le reste de la musique comme un autre monolithe, mais d’intercaler les musiques et de réussir à faire qu’une chanson de Lou-Adriane (Cassidy, NDLR) va être écoutée au même point qu’une chanson de Tate McRae. »

Il a aussi ajouté sur la stratégie qui est mise en place pour inciter les Québécois à s’intéresser à leur culture : « C’est-à-dire que c’est normal, on va sonner la sonnette d’alarme, on parle de cette statistique de 5% des écoutes globales au Québec qui vont à la musique francophone, ce qui est très très peu. Mais je me disais, est-ce que c’est en culpabilisant, en quelque sorte, les gens de ne pas écouter de la musique francophone qu’on va les inciter à écouter de la musique francophone? » Simoneau a rappelé que c’est plutôt de mettre des artistes de l’avant à heure de grande écoute qui risque de donner des résultats. Elle propose en exemple Véronique Cloutier, qui à son émission Vero et les fantastiques qui ne fait que jouer des pièces francophones, même si une bonne partie des œuvres qui sont joués sont dans la catégorie nostalgique plutôt que dans la musique contemporaine.

Krista Simoneau explique aussi que les directeurs musicaux dans les radios commerciales ont une tendance à demander aux artistes de modifier les chansons parce qu’ils croient que les auditeurs ne seront pas capables de suivre la version originale de la chanson.

Tendre la main à la jeunesse

Anne Robineau, qui est directrice adjointe à l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, explique qu’un groupe de jeunes caméroniens qui était en train d’apprendre le français voulait écouter des chansons dans la langue de Molière. Par contre, ce qu’on leur proposait était des pièces vieillottes, plutôt que des artistes actuels.

Yao explique aussi : « J’étais dans un événement de rencontre des nouveaux professeurs et 66% des nouveaux professeurs francophones en Ontario venaient du Québec et faisaient écouter de la musique québécoise aux jeunes francophones en Ontario. » Alors que c’est dès le jeune âge qu’on peut inscrire l’importance d’une culture dans une personne.

Des solutions?

Si les intervenants ne pouvaient pas se proclamer comme porteur de la réponse universelle à la difficile question de la présence de la chanson francophone dans l’espace public, deux solutions ont été mises de l’avant. D’abord, la mixité entre francophones du Québec et ceux hors Québec, à la fois pour se rencontrer et pour aider les publics à se mélanger. De plus, Krista Simoneau rappelle qu’il faut respecter la beauté de notre chanson d’ici.

Et pour y arriver, une chose est sûre, c’est à la collectivité de prendre en main sa culture pour que ça fonctionne. Il y a les gouvernements, les artistes eux-mêmes, l’industrie et le public qui doit mettre la main à la pâte.

Autres textes du dossier

*Cet article a été rédigé en collaboration avec l’ADISQ

Crédit photo: ADISQ / Simon Claus

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