Il fallait écrire quelques lignes sur cet album paru à l’automne 2024. Vous pardonnerez notre retard. Vaux mieux tard que jamais. 

Le mot arabe « dunya » signifie la vie du quotidien, le monde d’ici-bas. La traduction littéraire n’existe pas vraiment, mais c’est ici que le poète et chanteur canado-soudanais Mustafa puise ses inspirations pour ce premier album studio. Avec générosité, il se libère et aborde des thématiques complexes de son quotidien, au fil de 12 chansons singulières, plus intimes les unes que les autres. 

Dunya est d’abord un album de deuil, de résilience, de dévotion et d’échec. Il est né après la mort de Mohammed, le frère de Mustafa, victime d’une fusillade à Toronto. Ce qu’il reste dans le hood, à Regent Park, depuis la disparition de son grand frère, c’est ce que raconte l’artiste avec une sensibilité sans pareille. De sa voix feutrée et toujours juste, il aborde les trop nombreux deuils qu’il a dû faire. « Je connais probablement 25 personnes de Regent Park qui ont été assassinées, et toutes par quelqu’un de Regent Park », avait-il avoué en entrevue à Richie Assaly du Toronto Star. Le deuil est donc partie prenante du projet, mais aussi ce qui en découle. Le musicien de 28 ans y aborde d’autres sujets délicats, comme la guerre, sa foi, ses envies et sa relation amour/haine avec sa ville. Avec cette charge émotive qui lui est associée, Mustafa a raconté que Dunya n’a presque jamais vu le jour. « Je lui ai donné tout ce que j’avais, il m’a pris tant de choses. J’ai envisagé de l’enterrer avec tout ce que j’ai perdu, mais à quoi bon creuser  », écrivait-il sur Instagram. 

Et la musique? Son folk, sur lequel il dépose sa prose étoffée, est influencé par plusieurs sonorités. Il l’a lui-même qualifié de « inner-city folk ». Des influences hip-hop, soul et électronique viennent, ici et là, tapisser les productions de l’album. Pensons aux délicieux adlibs qui ponctuent SNL et Leaving Toronto, deux morceaux piliers du projet. Puis, les cordes soudanaises du masenqo et le son de l’oud égyptien apportent une texture magnifique à plusieurs pièces, comme sur les excellentes What good is a heart et Gaza is Calling. Cet assemblage d’influences fait de Dunya, un projet qui vaut le détour et qui, à chaque écoute, se déploie sous un nouvel angle.

Le plus bel instrument sur Dunya reste cependant la voix de l’artiste. Mustafa sait chanter. Alors, si en plus, les textes sont de grande qualité, cet album frappe un grand coup. Il est d’ailleurs impossible de rester de glace à l’écoute de Leaving Toronto, sur laquelle Daniel Caesar joint sa voix à celle du poète.

« I forget myself in your arms

If we’re burning this city, tell me where to start »
– Leaving Toronto

Sur cet extrait phare du projet, Mustafa dépeint le trop plein qu’il ressent face à la ville qui l’a vu grandir, mais qui lui aussi tant enlevé. Il exprime son envie de fuite, sa détresse qu’il associe maintenant trop à son quartier d’enfance. Alors, comme pris entre l’arbre et l’écorce, il relate l’incertitude de ses envies, de son destin, de la vie, à la recherche d’un autre endroit où se poser. De cette façon, les autres pièces du projet, même celle qui nous marquent un peu moins, regorgent d’une sensibilité similaire. Coup de cœur pour What Happened, Mohammed?, Imaan et Old Life.

Alors, ce qu’il reste après les 41 minutes d’écoute de Dunya, c’est ce sentiment de béatitude; cette impression d’être tombé sur un projet plus grand que nature, né de situations qui nous dépassent tous. Une compilation riche et étoffée qui regorge de pièces à la fois troublantes, déstabilisantes et lumineuses. J’ai essayé de me tanner, je n’en ai pas été capable.