Oh boy. Dans un des albums qui sera parmi les plus polarisants de la rentrée, Alaclair Ensemble revient avec sa verve qui coule de source, ses rimes amusantes, mais aussi avec des propos qui ne vont pas toujours dans le sens du politiquement correct. Dans une entrevue avec le collègue Philippe Renaud dans Le Devoir la semaine dernière, Vlooper disait : « Si tu peux te sentir outré par certaines phrases, on le comprend, dit-il. Cela dit, bien malin celui qui saisira tout le sens qu’on donne aux textes de l’album. » 

Sur l’chemin d’la guérison
C’est pas garanti
Qu’tu peux suivre le chemin des autres
J’ai l’air d’un hérisson
C’est à tes risques et périls
Juste essayer d’me toucher l’épaule

– Alaclair fontaine

Au final, Lait paternel sera marqué principalement par deux absents (l’un totalement, l’autre un peu moins) : Karim Ouellet et Maybe Watson. Après avoir été expulsé d’Alaclair Ensemble pour des « gestes inacceptables » en 2020, voici que Maybe Watson signe une pièce qui s’appelle Carte postale, mais qui est aussi la deuxième de l’album. Dire que ça donne un coup en partant est un euphémisme. Ce n’est pas le seul endroit où Watson est présent. Même s’il n’est pas là en personne, le groupe lui signe un hommage sur Forgot About Wats en empruntant la rythmique du refrain d’Eminem sur Forgot About Dre. Ça laisse perplexe. Au fil de l’album, et même si le groupe a nié que c’était le retour de Maybe Watson, ça ressemble beaucoup à un ballon de sonde pour savoir si l’eau serait assez tempérée pour ouvrir la voie à son retour.

L’autre absent, Karim Ouellet l’est de manière beaucoup plus touchante. Les «shout outs» sont nombreux à travers la galette, mais le paroxysme est certainement le gospel K Well où Claude Bégin est au sommet de sa forme. La chanson pourrait tout aussi bien s’adresser à Maybe Watson alors qu’il chante :

Mon gars, mon gars…

Tu peux resourire
Passé la crise
On peut tout se dire

J’te jure sur ma vie
On est à l’abri
Rien ne sert de courir

Repasse quand tu veux

– K Well

Et c’est là que tout le sens de leur attitude face à Maybe Watson prend son sens. Sans vouloir psychanalyser le groupe, Alaclair Ensemble a toujours fait grand cas de la famille. Et qu’est-ce qu’on fait avec un membre de la famille qui a mal agi? On l’épaule dans un cheminement pour que ça ne se reproduise pas. Rajoutez à cela que la formation a perdu leur ami Karim Ouellet dans le pire des contextes et ça donne envie de ne pas bouder. Ce n’est pas toujours beau, ça ne paraît pas toujours bien, mais ce sera toujours plus vertueux que celui qui lance la roche… pour récupérer les images bibliques. Ce qui ne veut pas dire que comme fan, on ne se retrouve pas pris avec un certain malaise. On peut au moins célébrer que ce n’est pas de l’art vide qui ne produit aucune réaction. Est-ce que celle-ci sera celle que le groupe espère? Les prochains jours le diront.

Alaclair Ensemble décide de se pencher sur les travers de la société contemporaine. Tikisson Woke est une pièce qui nargue les vertueux qui parlent fort sur les réseaux sociaux avec un très bon refrain qui ramène un peu de cet humour qui était si présent au début de leur carrière et qui s’est étiolé à travers les albums. On y trouve probablement l’une des rimes les plus drôles de tout l’album lorsque Claude Bégin qui chante : « Ça fait que one two step dans l’Tiki Ming / Danse en ligne à boutique Homies ».

Il y a dans cette critique du mot woke aussi une prise de conscience pour une génération pour qui ça voulait d’abord dire avoir les yeux ouverts aux inégalités reliées au racisme. D’abord un mot qui appartenait à la communauté afro-américaine, woke est aujourd’hui apposée à tous les enjeux de gauche visant l’égalité. Ça peut certainement créer des fractures. Sur Stack, on entend Robert Nelson qui chante : « Rentre dans le bar / Pis commande une tite beer / Ça parait que j’t’à Montréal / Tout l’monde a l’air queer », le tout est fait avec une voix différente ce qui donne l’impression qu’il se moque d’une certaine frange de la société qui a de la difficulté à vivre avec les changements, mais encore là, ce n’est pas tout à fait clair.

Puis, il y a la bizarre Pas fou le mec qui aborde les enjeux typiques de la pandémie sur une pièce qui semble tirée de Renaissance de Beyoncé avec une trame qui s’inspire de la musique dance des années 90. Mais la chanson au complet est bizarre. Après un dude qui, clairement ne comprend pas le consentement et qui rappe avec une voix à la française, on tombe sur une discussion complète entre deux Français qui tombent dans tous les clichés conspirationnistes. Le tout est déroutant, c’est le moins qu’on puisse dire. Ce n’est pas la seule fois où c’est abordé alors que le groupe rappe aussi ce thème sur Ton ami conspi.

Finalement, la formation fait aussi de bons coups de rap comme sur l’excellente Rap de Cégep où Modlee glisse aussi quelques bonnes mélodies. Chauffeur et Sauvetage qui sont dans le dernier tiers de l’album donnent aussi lieu à quelques bonnes rimes des rappeurs d’Alaclair Ensemble qui reste d’excellents forgerons de mots.

Après près de mille mots et dix jours d’écoute, j’en suis encore à me demander ce que j’en pense de ce Lait paternel. Je crois que mes questionnements peuvent se résumer dans le grand changement qui s’est opéré depuis les débuts. Il y a dix ans sur Babouine, Robert Nelson chantait : « Faque bébé c’est non, bon / Tu peux r’mette ton vagin dans tes pantalons / À matin, j’feel pas cochon / J’feel romantique » et aujourd’hui sur Forgot About Wats : « C’est Bobbé / Plus brûlant qu’un feu sur l’barbeq / Quand les belles filles sortent / Avec des tites tites shorts / T’aurais cru que c’est comme un été parfait. » On dirait que le romantisme a juste pris un peu le bord. Peut-être que les dernières années ont été un peu difficiles sur le moral et c’est ce qui se ressent sur Lait paternel qui est une œuvre honnête, contradictoire, parfois déroutante, parfois très efficace d’Alaclair Ensemble.