Tom Skinner
Voices of Bishara
- 31 minutes
C’est au tout jeune âge de 9 ans que Tom Skinner a découvert la batterie et, depuis ce temps, le Britannique n’a jamais cessé de développer son talent. En plus de s’être affairé pendant plusieurs années à désencrasser la scène jazz londonienne, l’artiste s’est agité derrière les fûts, pendant plus de 10 ans, avec la formation jazz Sons of Kemet; groupe qui a récemment mis fin à son aventure. Skinner a également élargi son auditoire en s’associant avec Thom Yorke et Jonny Greenwood au sein de l’entité rock, The Smile. Incidemment, on vous conseille de prêter l’oreille à l’excellent A Light For Attracting Attention lancé plus tôt cette année par le trio.
2022 est donc une année assez occupée pour le batteur. Et voilà que Skinner nous propose un premier album officiel sous son propre nom, lui qui auparavant avait lancé quelques longs formats sous le pseudonyme de Hello Skinny. Intitulé Voices of Bishara, le titre de ce nouvel opus est tiré d’un album du violoncelliste Abdul Wadud, paru en 1978, et titré Be Myself.
Le terme Bishara — qui signifie « bonnes nouvelles » en langue arabe — a inspiré l’artiste à proposer une musique totalement « vraie » dans un monde de plus en plus gangréné par la malhonnêteté et la désinformation. La genèse de ce Voices of Bishara a pris forme lorsque Skinner a invité quelques amis musiciens à se joindre à lui, à Londres, pour une séance d’écoute de l’album Life Time du batteur Tony Williams. Après l’avoir écouté une seule fois, il a invité ces mêmes musiciens à improviser avec lui.
Ce sont ces séances d’improvisations qui ont servi à l’échafaudage des six pièces jazzistiques réunies sur cette création. Par la suite, Skinner a invité en studio Kareem Dayes (violoncelliste), son fidèle collaborateur Tom Herbert (contrebassiste) et deux saxophonistes, en l’occurrence Nubia Garcia et Shabaka Hutchings, afin de reproduire ces mêmes chorus. Enfin, il a remodelé les bandes maîtresses de ces enregistrements en les triturant à sa guise.
Le résultat final est inclassable. Les morceaux dévient parfois vers des ascendants funk, free jazz — l’introductive Bishara — et même hip-hop. Or, grâce à un montage qui coule de source et une forte sensibilité rythmique, Skinner fait ondoyer ces pièces comme une douce brise d’automne. Les notes fissurées et répétitives d’Hutchings et Garcia sont parfois reléguées à l’arrière-plan de manière inopinée par l’apparition du violoncelle de Dawes. Et le duo Skinner / Herbert, lui, s’occupe de la souplesse de l’exécution; une section rythmique d’exception, il va sans dire.
Dans The Journey, les cassures rythmiques proposées par le tandem, combinées au jeu du contrebassiste Herbert, dynamisent ce morceau qui aurait pu être passablement linéaire. Dans The Day After Tomorrow, la mixture inharmonieuse des deux saxophones et du violoncelle est hautement crédibilisée par l’apport de Skinner. Dans Voices (Of The Past), c’est l’assemblage des bandes maîtresses extraites des séances d’improvisations qui singularise le morceau. Idem pour Quiet as It’s Kept, sauf que cette fois-ci, l’accent est mis sur le mixage atypique des instruments. Parfois, ce sont les saxophones qui se font résolument entendre. À d’autres moments, tous les instruments sont réunis dans une sorte de cacophonie contrôlée.
Pour les mélomanes qui, comme l’auteur de ces lignes, avaient découvert le travail de Skinner à travers l’album de The Smile, ce Voices of Bishara met réellement à l’avant-plan la subtile dextérité du batteur, mais aussi son indéniable talent de réalisateur.