Critiques

Chat Pile

God’s Country

  • The Flesner
  • 2022
  • 40 minutes
8,5
Le meilleur de lca

Originaire d’Oklahoma City, le quatuor noise rock nommé Chat Pile a bien pris soin de préparer le terrain avant la sortie de son premier album paru la semaine dernière. Avant ce God’s Country, Raygun Busch (vociférations et déclamations), Luther Manhole (guitare), Stin (basse) et Cap’n’Ron (batterie) avaient lancé dans un anonymat quasi total deux EP en 2019 : This Dungeon Earth et Remove Your Skin Please. Deux ans plus tard, le groupe récidivait avec un album partagé — un « split » en bon français — réalisé en compagnie du trio punk hardcore Portrayal of Guilt.

Le nom de la formation est inspiré par la ville-fantôme de Picher située, bien entendu, dans l’état d’Oklahoma. Pendant de nombreuses décennies, cette petite agglomération a abrité une usine spécialisée dans la fabrication de munitions à base de plomb destinées à l’armée américaine. Comme plusieurs de ces villes états-uniennes unidimensionnelles économiquement, Picher a été démantelé dès que l’usine a fermé ses portes. Le son rugueux et lourd ainsi que l’interprétation sentie de Raygun Busch sont, semble-t-il, fortement imprégnés par ce lieu aujourd’hui inhabité.

Au-delà de l’importance certaine qu’a eu Picher sur le son de Chat Pile, le groupe revendique avec assurance ses ascendants : The Jesus Lizard, Daughters et Eyehategod, entre autres. Étonnamment, les Oklahomains affectionnent également le travail des Pixies. Par exemple, dans une pièce comme Anywhere, l’oreille attentive saura déceler le son légendaire, dissonant et éthéré, de la bande menée par Black Francis sans que ce soit une inspiration flagrante.  

Et il n’y a rien de bien jojo dans la démarche artistique préconisée par Chat Pile. À ce sujet, le bassiste Stin déclarait ceci dans le communiqué de presse remis par la maison de disques : « More than anything, we’re trying to capture the anxiety and fear of seeing the world fall apart ».

Dans l’excellente Why, Busch se questionne avec justesse sur les raisons qui contraignent un individu à ne pas avoir de domicile fixe :

Why do people have to live outside?

In the brutal heat or when it’s below freezing

There are people that are made to live outside

Why?

– Why

Et le gueuleux réussit à nous émouvoir avec une authenticité admirable dans cette chanson tout en crescendo qu’incarne Pamela. Ce morceau décrit le triste destin d’une mère qui met fin à ses jours en emportant avec elle son fils :

I can’t remember if I told you that I loved you that morning

Out on the lake, you called for your mother

And my heart broke into a million pieces

A kind of darkness you never get used to

– Pamela

Ce sont toutes ces réflexions maniaques, parfois violentes, combinées à ce son alternant entre lourdeur et sobriété, qui font de ce God’s Country l’un des meilleurs albums noise rock révélés au cours des dernières années.

Parmi les meilleurs moments de ce long format effroyable et dangereusement sincère, on note l’influence post-grunge entendue dans Anywhere. La frénétique Wicked Puppet Dance remémore la formation Daughters sans que ce soit un pastiche. Après une introduction arpégée, Tropical Beaches, Inc. fera trembler votre chaîne stéréophonique tant la basse éructe un son abrasif.

Chat Pile atteint des summums de sauvagerie avec cet épisode psychotique titré Grimace_Smoking_Weed.Jpeg. Dans cette pièce, Busch campe le personnage de Grimace, l’une des mascottes créees par ce légendaire restaurant-minute qui nous vend depuis plus de quatre-vingts ans ses burgers-étrons. Il affirme laconiquement ceci : « Purple man, leave me alone ».

Malgré l’importance des groupes susmentionnés dans le son d’ensemble de la formation, Chat Pile nous propose le disque noise rock le plus urgent et inquiétant depuis You Won’t Get What You Want de Daughters. Grâce à tous ces personnages névrotiques personnifiés par Raygun Busch, God’s Country symbolise à la perfection cet empire en décomposition, et sur le point d’imploser, que sont les États-Unis d’Amérique.

Les tripeux de rock lourd et anxiogène, vous venez de vous faire un nouvel ami… qui fera partie de nombreux palmarès de fin d’année !

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