Idles
Crawler
- Partisan Records
- 2021
- 46 minutes
La trajectoire de la formation post-punk britannique ne laisse plus personne indifférent. Certains puristes snobent le groupe, surtout depuis la sortie de l’album Ultra Mono parue l’année dernière ; un disque qui a atteint les hautes positions des palmarès anglais. Un groupe aux ascendants punks bien campé à gauche de l’échiquier sociopolitique et qui vend de la copie… c’est un véritable sacrilège ! IDLES polarise.
Sur Ultra Mono, le quintette mené par le charismatique Joe Talbot avait fait appel à de nombreux collaborateurs, dont le réalisateur Kenny Beats (Denzel Curry, Vince Staples, Freddie Gibbs). L’apport de Beats sur ce troisième chapitre fut alors assez discret. IDLES est donc de retour avec un quatrième album studio intitulé Crawler. Cette fois-ci, le groupe a confié réellement les rênes à Beats, mais aussi à l’excellent guitariste de la formation Mark Bowen.
En entrevue avec le magazine Variety, Talbot déclarait ceci au sujet du processus créatif qui a mené à la gestation de ce nouveau long format : « Les deux albums précédents, on avait un thème défini et un titre quand nous avons composé les chansons. Les sentiments qui se sont dégagés d’elles ont forgé subtilement la naissance de Crawler dans notre subconscient. Ainsi, nous avons pu établir un processus de création plus sain, nous permettant de mieux écrire pour ce nouvel album » [traduction libre].
Crawler s’articule autour du thème de la rédemption, celle qui survient un certain temps après avoir subi de profonds traumatismes ou après avoir commis des erreurs remédiables. Talbot refuse la culpabilisation à outrance et mise sur la persévérance obstinée pour s’en sortir. Dans le court texte bonifiant la version vinyle de Crawler, le chanteur y écrit ceci : « I was on my knees but I was not begging, nor praying. I was just getting by, and I survived my traumas and the savage bastard cycle of addiction by half a whisker. Survival isn’t just the end release of centred jubilation. It’s all the ugly, vicious, and lonely steps along the way. I look back now and see how beautiful life is. To recover is beauty but to be carried by the embrace of care and luck is ecstasy. I am grateful. I’m a crawler. I am alive. All is love ».
Introspective et conçue en pleine pandémie mondiale, cette production nous rappelle avec justesse que la santé mentale et physique pour certains d’entre nous a sérieusement été mise à mal, jusqu’au point de rupture. Ce nouvel album est austère et complexe. Aux premières auditions, le son d’ensemble, crade et noyé dans la réverbération, pourrait laisser une impression de confusion. S’ajoutent à cette prise de son pour le moins étrange des chansons rampantes (c’est le cas de le dire!) qui, pour la plupart d’entre elles, ne comportent aucun refrain mémorable.
Moins frénétique et rassembleur que les précédentes créations du groupe, Crawler est un disque de transition convaincant. Laissant présager le meilleur pour la suite des choses, IDLES réussit tout de même à garder intact son ADN post-punk axé sur cette puissante section rythmique et ces salves de guitares délirantes. À ce sujet, les guitares de Mark Bowen et Lee Kiernan servent plus que jamais de faire-valoir à la section rythmique. Pour sa part, Talbot est égal à lui-même : passionné et énergique, mais légèrement plus mélodique qu’à l’accoutumée.
Parmi les meilleurs moments de cette version revitalisée et étonnante d’IDLES, le simple aux accents soul, The Beachland Ballroom, est émouvant. L’insidieuse MTT 420 RR est fertilisée par la performance frémissante de Talbot. La rythmique martiale, gracieuseté de Jon Beavis, et la basse tonitruante d’Adam Devonshire dans The Wheel sont jubilatoires. Progress est peut-être la chanson la plus représentative de cette nouvelle peau qu’exhibe IDLES. Les voix flottantes et les effets sonores rêveurs de cette pièce surprennent et bouleversent à la fois.
Les admirateurs de chansons hymniques comme Danny Nedelko et Model Village seront probablement désarçonnés par ce nouvel album d’IDLES. Avec Crawler, les Bristoliens solidifient leur place au panthéon des meilleurs groupes rock du moment.