Critiques

Travelling Daniel Bélanger

Daniel Bélanger

Travelling

  • Audiogram
  • 2020
  • 41 minutes
7,5

Depuis ses débuts sur disque il y a de cela près de trois décennies, Daniel Bélanger s’est imposé comme une des voix les plus fortes du Québec, capable d’expérimenter avec les genres sans s’éloigner du format chanson. Mais voilà que le musicien range son micro pour s’offrir un album entièrement instrumental, intitulé Travelling, et qui emprunte d’ailleurs beaucoup aux techniques de la musique de film.

Ce projet d’album instrumental est dans les cartons de Daniel Bélanger depuis un bout. Déjà, en 2016, lors de la sortie de Paloma, il disait travailler à un disque sans paroles. Travelling aurait finalement dû être lancé au printemps, mais la pandémie en a décidé autrement. Au final, c’est peut-être un mal pour un bien, car il se dégage de ce disque une chaleur qui s’arrime très bien à la venue de l’automne.

Il y a quand même une symbolique très forte au fait que Travelling soit lancé au moment où un autre confinement vient de nous tomber dessus. En mars dernier, Daniel Bélanger a en effet commencé à publier sur Instagram de petits dessins abordant des thèmes de l’actualité comme les drames dans les CHSLD ou la pénurie de farine dans les épiceries. Une sorte de « journal intime », réalisé « sans intention et sans obligation », comme il le confiait au journal La Presse en avril.

Bref, c’est par le dessin que l’auteur-compositeur-interprète a choisi de communiquer, plutôt que par des prestations sur les réseaux sociaux. Et voilà qu’il arrive avec un album où il a décidé de s’exprimer uniquement par la musique, et non les textes. Ce qui ne signifie pas que Daniel Bélanger n’a plus rien à dire, bien au contraire. D’ailleurs, Travelling témoigne d’une recherche approfondie sur le plan des textures, mais sans que la musique ne doive se mettre au service des paroles.

On sent d’ailleurs une très grande liberté dans cette manière de toucher à plusieurs traditions musicales, parfois au sein d’une même pièce. Après une brève introduction orchestrale, Daniel Bélanger nous entraîne d’abord dans une atmosphère à la Ennio Morricone sur Froide était la gâchette, nourrie de banjo et de sifflements, qui me fait penser à la scène d’ouverture d’Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone (celle sur le porche, avec la mouche). Puis arrive Le triomphe d’une perruche, qui pourrait presque être la suite de ce duel, sauf que la musique dévie de son esthétique western spaghetti pour lorgner du côté de l’électronique, surtout au chapitre des percussions, et voilà que les univers sonores se mélangent et s’entrechoquent.

Même s’il s’agit d’un album instrumental, on n’est pas ici en mode « ambiant ». L’instrumentation est très variée (Daniel Bélanger joue de presque tout, à l’exception notamment des arrangements de cordes signés Julie Thériault et de la trompette de Jacques Kuba Séguin), ce qui donne une couleur distincte à chaque morceau. Sur Un grillon au parc national, j’entends les trames sonores d’Henry Mancini (surtout celle de Touch of Evil, du réalisateur Orson Welles, vieux film noir de 1958), tandis que La flûte atomique rappelle le prog-lounge d’Intouchable et immortel. Entre ces deux pôles se situent le folk-rock enfumé de Chanter ou l’électro-punk de Farewell Alan Vega, en hommage au défunt leader de Suicide, disparu en 2016.

En langage cinéma, le travelling réfère à un mouvement de caméra pour suivre un sujet en mouvement. C’est justement un titre qui convient très bien à cet album, qui se plaît à jouer sur plusieurs tableaux en même temps. Bien sûr, on préfère Daniel Bélanger en mode chanson (sauf peut-être pour Chic de ville), sauf qu’en attendant, on peut se réjouir de le voir s’amuser avec les images et les sons.

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