Chroniques

Sonic Youth + Thurston Moore

Goo

Sonic_Youth_GooCeux qui croient que l’art ne sert à rien, évitez ce texte. Je pourrais même vous dire que sans la culture, au sens large du terme, la musique et la littérature plus particulièrement, je ne ferais plus partie de ce monde. Vous trouvez que j’exagère? C’est que vous n’étiez pas dans mes bottines pendant la décennie 90, point à la ligne. Le disque que je m’apprête à vous présenter fait partie de ceux qui sont d’une importance capitale. C’est donc avec une émotivité non feinte que je vous propose de célébrer le 25e anniversaire de la parution de Goo de Sonic Youth.

En effet, le 26 juin 1990, Geffen Records mettait sur le marché l’un des disques les plus importants de toute mon existence. À l’époque, en plus de faire partie d’un groupe rock, de ne pas savoir quoi faire de mes dix doigts et de me brûler ces mêmes dix doigts en tant que plongeur dans un restaurant détenu par les Pères Oblats (vive le catholicisme!), j’étais scotché littéralement à ce disque. Le bonhomme venait de déguerpir de la maison, la maman filait franchement un mauvais coton, je venais de saboter mes études en journalisme au Cégep de Jonquière et ne me restait que mon «band», le Velvet Underground et… ce Goo de Sonic Youth!

Réalisé par Sonic Youth, avec la participation de Nick Sansano (l’homme derrière Daydream Nation) et Ron St. Germain, on voit le quatuor rock inharmonieux proposer à ses fanatiques un virage mélodique assez surprenant. Sans perdre dans la brume les sublimes dissonances guitaristiques de Thurston Moore et Lee Renaldo, la formation s’affaire à resserrer sa musique, à incorporer de véritables mélodies, devenant ainsi les précurseurs attitrés de la vague grunge, conjointement avec les salopards de Dinosaur Jr. Ont participé à cette conception sonore une panoplie de grosses pointures du rock indépendant du «bon vieux temps»: la guitare du dinosaure en chef J Mascis intervient sur trois morceaux, Don Fleming prête son organe vocal sur Dirty Boots et Disappearer et Chuck D de Public Enemy pose sa grosse voix sur le manifeste féministe Kool Thing… une grande chanson, il va sans dire!

Goo s’écoute sans interruption du début à la fin. Ce chef-d’œuvre démarre avec l’imparable riff arpégé qui soulève Dirty Boots (que dire de l’explosion finale!). Ça se poursuit avec la douce vengeance de Karen Carpenter (personnifiée par Kim Gordon) sur les doutes émis par sa mère concernant les capacités musicales de la mythique chanteuse: Tunic (Song For Karen). Bouleversant! S’alignent la bondissante Mary-Christ, la géniale Kool Thing, la bruyante et cacophonique Mote.

En deuxième partie d’album, Kim Gordon reprend le micro sur My Friend Goo. On verse dans une prenante mélancolie sur Disappearer… avec l’envie de disparaître carrément. On reprend nos esprits à l’aide des hurlements hystériques en conclusion de Mildred Pierce. On tripe littéralement sur le jeu de guitare de Renaldo et Moore à l’écoute de Cinderella’s Big Score. Le périple se termine sur la magistrale Titanium Expose qui met à l’avant-plan un riff de malade, joué à une vitesse décuplée à la fin, et qui encore aujourd’hui fonctionne à merveille. Mention plus qu’honorable à la pochette de Raymond Pettibon, celui-là même qui concevait les images des albums de Black Flag et qui est impliqué avec les vieux punks de Off! Fait important à noter, Sonic Youth à l’époque était mécontent du son d’ensemble de cette sitedemo.cauction et a donc fait paraître les versions démos de Goo via le fan-club de la formation. Aujourd’hui, je réécoute pour la énième fois ce disque et ça rentre toujours au poste!

Je vous le confirme sans aucune espèce de pudeur, avec l’œuvre complète du Velvet Underground, ce Goo m’a permis de passer au travers d’une période houleuse de mon existence. J’ai dépiauté cette galette comme un véritable fou furieux, m’accrochant désespérément à ces sons discordants et assourdissants qui s’harmonisaient radicalement au rythme de vie désordonné que j’avais à l’époque… et je suis encore sur cette terre pour faire l’apologie de ce monument du rock états-unien. Donc, s’il y en a qui croit encore après cette lecture que l’art ne sert à rien, je les envoie se faire foutre sans ménagement!

http://www.sonicyouth.com

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