Protomartyr
Relatives In Descent
- Domino Records
- 2017
- 43 minutes
Le post-punk maussade de Protomartyr passe étonnamment l’épreuve du temps, malgré cette facture sonore qui n’a rien de bien révolutionnaire. En revanche, il n’y a rien à redire sur les textes poétiques et revendicateurs du chanteur Joe Casey. Avec sa voix, juste assez inharmonieuse, évoquant un Ian Curtis éméché en manque de sommeil, l’humble meneur du quatuor représente l’identité sonore de la formation à lui seul. Je ne diminue en rien le travail de ses pairs, mais sans Casey, Protomartyr serait probablement un groupe rock générique comme il en existe des milliers.
Sur ce nouvel album paru vendredi dernier et intitulé Relatives In Descent, Casey écrit encore sur l’indicible et constant malaise que vit privément la bébitte urbaine qu’est devenu l’être humain occidental. Cette fois-ci, le parolier de haut niveau aborde de front la notion de vérité en cette ère de « fake news » et de toutes ces histoires à dormir debout (ésotérisme, croyances spirituelles tirées par les cheveux, etc.) que l’on a parfois tendance à intérioriser… afin de fuir cette lourde et triste réalité nommée la mort. Pas jojo tout ça, mais courageux !
Le talent littéraire qui habite Casey nous saisit à la gorge dès la première chanson, A Private Understanding : « In the age of blasting trumpets / Paradise for fools / Infinite wrath / In the lower deep a lower depth / I don’t want to hear those vile trumpets anymore ». Et le bonhomme poursuit sur sa lancée avec une effroyable lucidité : « People live with a private understanding / Sorrow’s the wind blowing through / Truth is hiding in the wire ». Voilà qui démarre superbement ce qui constitue l’album le plus abouti de Protomartyr.
Grâce à une réalisation plus cristalline qu’à l’accoutumée et avec l’aide du jeu de guitare exalté de Greg Ahee – inspiré directement, semble-t-il, de la formation britannique The Raincoats – Protomartyr dépasse ses propres standards, et ce, sans perdre son identité habituelle. Tout de suite après la tournée qui a succédé à la parution de l’excellent The Agent Intellect, le quatuor s’est réuni dans son local de pratique situé dans un modeste quartier de la ville de Detroit afin de composer les nouvelles chansons qui meublent ce Relatives In Descent. Déjà, Ahee désirait durcir quelque peu le son d’ensemble de la formation sans entraver les « désirs » mélodiques de Casey. Ça donne un album aussi décapant que mélancolique, parfaitement ancré dans son époque, malgré le son post-punk « vintage » si caractéristique du groupe.
Que ce soit pour l’explosion de guitare dans A Private Understanding, pour le riff inventif dans My Children, pour l’abrasive et étrange Caitriona, pour la menaçante, un brin Sonic Youth, Windsor Hum, pour le côté punk « vieille école » entendu dans Male Plague ou encore pour la bouleversante et conclusive Half-Sister, l’amateur de vrai rock ne pourra résister à ces petits bijoux de chansons aussi labyrinthiques qu’engagées.
Si Protomartyr avait le désir de poursuivre sa route peinard, sans trop modifier sa trajectoire, le groupe n’y perdrait rien en ce qui concerne sa crédibilité. C’est ce qu’on appelle avoir une identité sonore forte. Sans rien inventer de vraiment nouveau, Relatives In Descent est une création qui ravive l’importance des mots dans un genre de moins en moins « lettré ». Essentiel, en ces temps où tous retiennent leur souffle…