Chroniques

My Bloody Valentine

Loveless

Fin 1997 : Premier contact avec une intrigante affiche placardée dans le Secteur 8 de Midgar.

1998 : Achat d’une copie de Loveless et d’un nouveau lecteur de disque compact Sony.

2002-2006 : Loveless devient un fidèle compagnon lors des longues nuits d’étude.

2007 : My Bloody Valentine se réunit. Le groupe annonce leur premier concert aux États-Unis en 16 ans au festival ATP New York. J’achète immédiatement un billet avec un groupe d’amis.

Septembre 2008 : grippé et engourdi par la pseudoéphédrine contenue dans le Drixoral qui me maintient temporairement en vie, j’assiste incrédule au fameux holocauste sonore (You Made Me Realize). Certains s’aventurent à retirer leurs bouchons. Mauvaise idée.

2010-2012 : Je fais l’acquisition d’une Jazzmaster et d’une Jaguar.
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Janvier-février 2013 : Personne n’y croyait. La suite de Loveless existe vraiment et elle se nomme m b v. Le soir où le disque doit être diffusé en version numérique, le 2 février, je ne dors pas. Le site Internet officiel du groupe connaît des ratées. J’y parviens. Je réalise deux écoutes complètes de l’album sans interruption.

6 novembre 2013 : My Bloody Valentine s’arrête au Métropolis à Montréal dans le cadre d’une tournée promotionnelle de m b v. En raison du travail, je ne peux assister au spectacle. Je m’en veux encore.

4 novembre 2016 : Loveless célèbre ses 25 ans d’existence. J’envisage rédiger un texte pour souligner l’événement, mais je m’écroule devant mes responsabilités. Ce n’était que partie remise.

Écrire à propos de Loveless de My Bloody Valentine est à la fois une tâche simple et complexe. La simplicité de l’exercice s’explique par le fait qu’il y a tellement de choses à raconter à propos de ce chef-d’œuvre. Paradoxalement, c’est aussi pour cette même raison qu’il s’avère difficile de rester pertinent en regard du nombre incalculable de textes, analyses, entrevues et éditoriaux qui ont été sitedemo.cauits au fil des années. Des livres ont été écrits et certains auteurs ont payé le prix de la crucifixion publique pour avoir sombré dans « le mythe » plutôt que de célébrer la rigueur journalistique. À ce sujet, pour les curieux, je vous invite à faire une petite recherche à propos d’un certain David Cavanagh, auteur du très controversé ouvrage The Creation Records Story : My Magpie Eyes Are Hungry For The Prize.

Il existe un consensus historique : Loveless, pour les initiés, est aujourd’hui porté au pinacle de la « scène qui se célébrait elle-même ». L’exercice est simple, il suffit de consulter n’importe quelle liste énumérant les albums shoegaze les plus influents de l’histoire et Loveless trônera toujours au sommet. Peu de groupes peuvent se targuer d’avoir atteint un tel niveau de légitimité. Lorsque certains avoueront préférer Nowhere de Ride ou Souvlaki de Slowdive, à titre personnel, ceux-ci n’oseront jamais pousser l’audace de remettre en question la Couronne. Pour les anticonformistes, cela a de quoi faire froncer leurs sourcils. Pourtant, l’autorité de la bande de Dublin est si convaincante que même les plus sceptiques finissent toujours par se rallier à l’opinion dominante.

À sa sortie, Loveless en a déstabilisé plus d’un. Bien que certaines caractéristiques stylistiques assez particulières avaient déjà été mises en lumière en 1988 sur Isn’t Anything, peu de gens s’attendaient à vivre une révolution de paradigme. Le choc fut brutal sans pour autant être instantané. Souvenons-nous qu’un certain Nevermind, figure emblématique du « son de Seattle » – la nouvelle voix d’une génération – frappait de plein fouet le monde quelque mois précédant la sortie tumultueuse de Loveless.

Comble de l’ironie, les racines unissant le grunge de Nirvana et l’identité de My Bloody Valentine (et par extension, celle de Swervedriver, par exemple) s’avéraient être en bonne partie les mêmes. En fait, plusieurs groupes qui sont maintenant catégorisés comme du shoegaze étaient à l’époque perçus par la presse musicale comme des formations de musique psychédélique ayant un penchant pour le rock alternatif tout en s’inspirant en bonne partie des idoles du punk et du noise rock américain des années 80 (Husker DüSonic YouthDinosaur Jr., etc.). Le terme « shoegazing » ne fut qu’une expression reprise par le New Musical Express (NME) afin de catégoriser cette grappe de groupes britanniques gravitant autour des bureaux de Creation Records et de 4AD et qui accordaient une attention très particulière à leurs pédales d’effets… Car en plus d’affectionner les lampes surchauffées des amplificateurs d’outre-mer, les premières formations shoegaze entretenaient aussi une histoire d’amour bien assumée avec les sonorités planantes de certains de leurs compatriotes européens. Pensons ici à The Smiths ou aux Cocteau Twins.

L’autre point de convergence se situe dans l’appropriation des guitares Jaguar et Jazzmaster de Fender par les ténors du noise rock (J. MascisThurston Moore ou Lee Ranaldo) ce qui aura très certainement inspiré la formation irlandaise. Le lien est si évident que Kevin Shields développera la signature sonore de Loveless précisément autour d’une utilisation tout à fait ingénieuse du système de trémolo desdites guitares. Cette fascination se traduira par la publication d’un maxi au nom évocateur (Tremolo) qui avait pour but de préparer la venue de Loveless. Le disque sera finalement présenté au monde à l’intérieur d’une pochette au visuel désormais légendaire : le fameux plan rapproché d’une Jazzmaster – complètement floue – se superposant à un emblématique fond rose. L’image est d’une puissance remarquable.

Ce qui se dégage principalement de Loveless, que ce soit à la première ou à la centième écoute, c’est ce sentiment de flottement généralisé porté par les ondulations du trémolo et les multiples couches et textures vocales qui se combinent aux innombrables feedbacks de guitares contrôlés à la perfection. Le travail de sitedemo.cauction de l’album joue d’ailleurs ici un rôle fondamental : Kevin Shields, par son perfectionnisme excessif et sa vision non conventionnelle de la musique, n’a absolument rien laissé au hasard. Selon les dires de Shields lui-même (McGonigal, 2007 : 43), la majorité des ingénieurs ayant touché à l’album (à noter ici que les deux seuls sitedemo.caucteurs sont Kevin Shields et Colm Ó Cíosóig en ce qui concerne la pièce Touched) était incapable de saisir la portée réelle du projet. Des dizaines de personnes créditées à titre d’ingénieurs et d’assistants, la majorité n’aurait que préparé des infusions de thé et déplacé des pieds de microphones. On apprend que ce serait alors Alan Moulder qui aurait finalement été l’un des seuls ingénieurs ayant bénéficié de la pleine confiance de Kevin Shields. En guise d’anecdote, Trent Reznor et Billy Corgan, impressionnés par Loveless, feront appel aux services de Moulder pour les sitedemo.cauctions respectives de The Downward Spiral (1994) et Mellon Collie And The Infinite Sadness (1995).

Pour ma part, et pour celle d’un millier d’autres, j’en suis certain, Loveless représente l’apothéose d’un style qui n’a à ce jour pas encore été surpassé. Combien de groupes au fil des années ont tenté d’émuler cette magie faisant d’Only ShallowCome in Alone ou Soon des classiques intemporels? Réussira-t-on un jour à transcender les sommets atteints en 1991? Le déclin du grunge et l’émergence de la britpop au milieu des années 90 auront eu un effet dévastateur sur le développement du style. La vague « nu-gaze » (un concept assez contesté) du début des années 2000 n’aura quant à elle pas été très concluante. Heureusement, certains joyaux s’inspirant fortement des prouesses de My Bloody Valentine ont tout de même émergé ici et là au cours des vingt-cinq dernières années. Pensons ici à 23 de Blonde Redhead (sitedemo.cauit par devinez qui…) et Future Perfect d’Autolux. Ceci dit, il ne faut pas perdre espoir, car une toute nouvelle génération de « shoegazeurs » semble prête à porter à nouveau le flambeau. J’ai certains noms en tête, si cela vous intéresse…
 
RÉFÉRENCE :

McGonigal, M. (2007). Loveless. 33 1/3, Continuum International Publishing Group.

*Cet ouvrage dresse un portrait assez intéressant du contexte entourant la création de Loveless. Kevin Shields a été consulté dans le cadre du projet.

My Bloody Valentine
Loveless
Sire Records
1991

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