Critiques

Yoo Doo Right

From the Heights of Our Pastureland

  • Mothland
  • 2024
  • 42 minutes
8
Le meilleur de lca

En tout juste deux albums, le groupe montréalais Yoo Doo Right s’est construit une place enviable sur la scène post-rock en n’ayant pas peur de défier les conventions du genre pour lorgner du côté du shoegaze ou du post-punk. Leur nouvel opus, From the Heights of Our Pastureland, est un autre exemple de la capacité du trio à se jouer des étiquettes afin de proposer une musique basée avant tout sur l’instinct.

Parce qu’ils favorisent eux aussi les pièces longues et les grandes montées d’intensité, les gars de Yoo Doo Right se sont souvent attirés des comparaisons avec Godspeed You! Black Emperor, qu’on peut considérer comme les pères fondateurs de la scène post-rock montréalaise. Certes, il y a une parenté évidente entre les deux groupes, ne serait-ce que dans la pochette de ce troisième album, dont les textures et l’esthétique rappellent celles du disque Asunder, Sweet and Other Distress de GY!BE. Par contre, il s’agit aussi d’une comparaison un peu facile qui ne tient pas compte du style plus hétérogène du trio et de son caractère imprévisible dans les structures.

Précédé d’une rumeur favorable, From the Heights of Our Pastureland nous arrive quelques semaines seulement après que Yoo Doo Right s’est taillé une place parmi les 20 meilleurs albums canadiens de la décennie jusqu’à maintenant selon Exclaim! grâce à l’excellent A Murmur, Boundless to the East, paru en juin 2022. Un honneur pleinement mérité qui permet de souligner l’originalité de la proposition de ce groupe dans un genre qui semble trop souvent prisonnier de ses propres règles.

Sans dire que le trio de Justin Cober (guitares/voix/synthés), Charles Masson (basse) et John Talbot (batterie) se réinvente, From the Heights of Our Pastureland explore des territoires que Yoo Doo Right avait frôlés dans le passé, mais sans les exploiter à leur plein potentiel. Avec son rythme bondissant et ses guitares cristallines, Ponders End se démarque de tout ce que le groupe a offert par le passé avec sa structure assez simple et un son qui n’est pas sans rappeler le rock alternatif des années 90. Divisée en deux parties, la puissante Spirit’s Heavy, But Not Overthrown en lever de rideau nous offre elle aussi d’agréables surprises, avec une longue introduction aux textures plutôt électroniques et des cassures de rythme souvent déstabilisantes.

Du haut de ses neuf minutes, la lourde Eager Glacier nous replonge dans le style du précédent A Murmur, Boundless to the East. Les effets de crescendo sont brillamment exécutés et on se plaît à penser à du Swans dans les puissants accords dissonants qui s’affaissent tels des montagnes qui s’écroulent. Après l’ambiante Lost in the Overcast en guise d’interlude, le groupe nous sert le plat de résistance avec la pièce-titre de ce troisième album, qui s’amorce avec une courte montée en intensité qui cède le pas à une véritable décharge sonore sur laquelle la batterie de Talbot s’en donne à cœur joie, avant de finalement s’éteindre en un long et doux épilogue.

Une des particularités du son de Yoo Doo Right est son utilisation parcimonieuse, mais toujours appropriée de la voix de Cober, qui évoque celle de Mark E. Smith (The Fall) et qui donne une couleur unique aux envolées cosmiques de la formation. Elle se fait malheureusement plus discrète ici, mais son apparition dans la deuxième partie de Spirit’s Heavy, But Not Overthrown est tout à fait réussie et amène le morceau dans une autre direction. Le groupe se plaît aussi à ajouter des touches qui ne faisaient pas partie de son arsenal par le passé, que ce soit par la présence d’une trompette (Francis Leduc-Bélanger) ou par des passages qui tirent à fond vers le métal.

Pour un trio qui a bâti une bonne partie de sa réputation sur sa puissance en concert (jusqu’à distribuer gratuitement des bouchons aux spectateurs), le travail en studio de Yoo Doo Right est étonnamment nuancé, avec une parfaite maîtrise des variations de dynamique. Écrit en partie lors d’une fin de semaine dans un chalet en plein blizzard et réalisé par Seth Manchester (Lingua Ignota), From the Heights of Our Pastureland se démarque par des structures plus libres et une diversité de textures qui évoquent autant l’ambient, le krautrock que le post-hardcore. Un groupe en pleine possession de ses moyens qui fait honneur à la scène expérimentale montréalaise.

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