Les Viagra Boys sont de retour. Assurément pour le plus grand plaisir des fans… et ils sont nombreux ! Pourtant l’auteur de ces lignes n’a jamais pleinement adhéré à ce que la formation suédoise nous a présenté depuis le début de sa carrière. On a bien sûr rigolé et tapé du pied à l’écoute du succès improbable et hilarant qu’est Sports — chanson-phare de l’album Street Worms (2018) —, mais le deuxième long format du sextuor, Welfare Jazz, ne nous avait pas totalement convaincus. À peu de choses près, le groupe avait calqué la formule empruntée sur Street Worms.

Moins d’un an après le décès soudain du cofondateur de la formation, Benjamin Vallé, les monarques du post-punk bien baveux nous propose un troisième album intitulé avec exactitude Cave World. Au moment où les critiques dithyrambiques pour Welfare Jazz étaient révélées, le groupe entrait en même temps en studio pour enregistrer de nouvelles chansons. Après les avoir réécoutés, les membres du groupe ont choisi de les retravailler afin de les rendre plus abrasives et intenses.

Cave World est une plongée dans les esprits troublés de certains de nos concitoyens qui ont souscrit à plusieurs théories douteuses au cours deux ou trois dernières années. Ce pamphlet sonore secoue le pommier de tous ces « convaincus », à gauche comme à droite, qui nous ont émis leur avis sans ménagement, et surtout sans aucun discernement, sur cette persistante pandémie. Dans un monde qui carbure au jacassage incessant et à l’hyperactivité, il est bien difficile d’avoir les idées parfaitement claires, à moins de couper le signal une fois de temps à autre afin de ralentir le flot de pensées…

Malgré tout, le chanteur-parolier Sebastian Murphy réussit à enchâsser dans ses textes une subtile forme d’empathie. C’est une chose de ridiculiser les arguments mesquins de tous ces humains en crise et irraisonnés, mais de réfléchir aux raisons qui ont poussé ces individus à adopter ces idées en est une autre. Dans Troglodyte, Murphy compare avec justesse l’homme moderne à un dinosaure. Le parolier laisse entendre que toutes ces ruminations sont le fruit d’une haine qui a consumé ces laissés-pour-compte depuis trop longtemps :

He says he don’t believe in science
He thinks that all the news is fake
And late at night he sits on his computer
And writes about the things he hates

-Troglodytes

Dans une pièce comme Creepy Crawlers, Murphy se paie bien sûr la tête de tous ces antivax sous une musique électro-rock on ne peut plus appropriée, mettant ainsi en lumière la détresse psychologique qui affecte plusieurs d’entre eux :

I can’t believe it
I can’t believe what I read last night
Man, there’s little kids growing up with animal hair
Some of ’em are growing up with tails, maybe even two tails, man
They’re putting in little microchips into
They’re putting microchips in the vaccines
Little creepy crawlies

– Creepy Crawlers

Musicalement, le sextuor remanie habilement sa recette en encrassant les guitares et les éléments synthétiques qui ont fait leur réputation, tout en prenant bien soin de faire bouger les popotins. Construite sur le même moule que Shrimp Shack — une jouissive pièce de Street Worms — l’excellente Ain’t No Thief se démarque grâce à ses guitares quasi funk et juste assez souillées. Big Boy profite de l’intervention Jason Williamson (Sleaford Mods) pour se transformer en une sorte de hip-hop nappée dans la new wave.

De plus, le groupe a créé quelques intermèdes « étranges» servant de liants entre les chansons. L’équilibre entre les pièces plus rageuses et bruyantes, comme la conclusive Return to Monke, et des morceaux hautement accrocheurs, comme Punk Rock Loser et The Cognitive Trade – Off Hypothesis, est vraiment parfait.

Bref, Cave World est le long format le plus abouti de la carrière des Viagra Boys, et de loin ! En 2022, rares sont les albums en mesure de fédérer toutes les générations de mélomanes et les Suédois nous rappellent que le rock, joué et interprété avec une véritable intention subversive, peut être encore très pertinent.