U.S. Girls
Heavy Light
- 4AD / Royal Mountain Records
- 2020
- 37 minutes
Dire que les attentes sont élevées pour ce nouveau disque de U.S. Girls relève de l’euphémisme. Il y a deux ans, Meg Remy s’est attirée des critiques dithyrambiques pour l’album In a Poem Unlimited, retenu sur la courte liste du prix Polaris. Et voilà qu’elle fait paraître Heavy Light, son troisième opus pour le label 4AD, et qui marque un nouveau chapitre dans le parcours de cette artiste d’exception.
Ce n’est pas la première fois que Remy, Américaine d’origine, mais établie à Toronto depuis des années, doit faire face au poids des attentes. En 2015, son album Half Free (aussi retenu sur la courte liste du prix Polaris) nous avait révélé une artiste en pleine possession de ses moyens, capable de s’éloigner des expérimentations de ses débuts, mais sans verser non plus dans une pop facile ou conventionnelle.
Sur In a Poem Unlimited, Remy avait trouvé une manière de déjouer les attentes en explorant de nouveaux territoires musicaux, au risque de déstabiliser l’auditeur. Oui, il y avait du disco, du funk et du jazz là-dessus, ainsi qu’une foule de collaborateurs pour conférer encore plus de force à son propos, là encore porté sur les inégalités entre les sexes, les injustices sociales et le climat politique actuel.
Sur Heavy Light, enregistré à Montréal à l’Hotel2Tango, Remy (et sa vingtaine de musiciens accompagnateurs!) continue de s’abreuver aux genres du passé en s’en servant comme outil pour aborder le présent. Sur 4 American Dollars, elle se livre à une critique acerbe du rêve américain dans le contexte où les riches s’enrichissent sans cesse, sur un rythme funk :
« You can do a lot with four American dollars
No matter how much
You get to have
You will still die
And that’s the only thing
You gotta have boots
If you wanna lift those bootstraps ».
– 4 American Dollars
Le funk est aussi à la base d’Overtime, dont l’énergie contagieuse sert à masquer un propos coup-de-poing sur les conséquences de l’alcoolisme et les traces qu’il laisse sur notre entourage. Il s’agit d’un texte dur, qui parle de mensonge et de trahison, à des années-lumière de l’enrobage musical, magnifié entre autres par la présence du saxophoniste Jake Clemons, du fameux E Street Band de Bruce Springsteen. Ceux et celles qui suivent la carrière de Remy depuis ses débuts reconnaîtront dans Overtime une chanson issue de son EP Free Advice Column, lancé en 2013.
Un des aspects les plus réussis de ce nouvel album se situe au chapitre des harmonies vocales, qui donnent à plusieurs titres une coloration soul ou gospel qui en accentue la puissance évocatrice. Certes, ces genres ont déjà une riche histoire, ayant servi de véhicule à des artistes tels Aretha Franklin ou Marvin Gaye afin d’affirmer leur fierté d’être Afro-Américains. Remy les utilise non pas pour se les approprier, mais pour en faire ressortir le côté rassembleur. Elle les conjugue aussi avec d’autres traditions pour créer des univers qui lui sont propres, comme sur And Yet It Moves, où les appels et réponses du gospel se mélangent aux synthés futuristes.
Heavy Light atteint son apogée avec la dramatique The Quiver to the Bomb suivie de l’oppressante Red Ford Radio, elle aussi une relecture d’une pièce du même nom issue de son album Go Grey (2010), portée uniquement par la puissance des voix, sur une percussion inquiétante, et un texte qui donne froid dans le dos :
« I can’t breathe in this red Ford anymore
Tell you anything to get out, get out ».
– Red Ford Radio
Parce qu’il est un peu plus personnel dans le ton, Heavy Light requiert davantage d’investissement qu’In a Poem Unlimited. Il n’y a pas ici d’hymne pop à faire danser les foules dans le genre Mad as Hell. Mais sur le plan de la force et de la pertinence du propos, on est ici en présence d’un album tout aussi important.