Critiques

Ulrika Spacek

Compact Trauma

  • Tough Love Records
  • 2023
  • 49 minutes
8,5
Le meilleur de lca

Menée par le surdoué Rhys Edwards, la formation originaire de Reading en Angleterre avait titillé les oreilles de plusieurs amateurs de rock avec la parution de l’excellent Modern English Decoration en 2017. Même la mythique Brute du Rock en avait fait l’apologie dans l’une de ses chroniques. Avec justesse, il comparait l’album à une mixture unique de Radiohead, Sonic Youth, Deerhunter et The Brian Jonestown Massacre.

Après six années d’absence — une éternité dans l’univers hyperactif de la musique populaire —, Ulrika Spacek nous présentait la semaine dernière un troisième opus en carrière intitulé Compact Trauma. Comme la pause susmentionnée le suggère fortement, l’enfantement de ce nouveau long format ne s’est pas concrétisé dans l’allégresse, tant s’en faut.

De prime abord, le local de répétition et d’enregistrement de la formation a été victime de la vague internationale d’embourgeoisement immobilier. Le groupe a donc dû dénicher un nouvel endroit de création de manière précipitée. D’autre part, l’apparition de la COVID-19, les conflits internes et les problèmes de toxicomanie qui ont affligé certains membres du quintette ont ralenti significativement le rythme de production de l’album. Or, ces interruptions ont quand même permis à Ulrika Spacek de réfléchir profondément à son avenir et surtout à la façon dont le groupe avait envie de conclure l’enregistrement de ce superbe opus… car il s’agit bel et bien d’une création d’exception.

Malgré les frictions et les intermittences créatives vécues par le groupe, Compact Trauma est une avancée magistrale dans la carrière d’Ulrika Spacek. Les ascendants demeurent les mêmes, sauf que l’approche vocale d’Edwards est nettement plus assumée. La réalisation, lustrée et limpide, met de l’avant le jeu inventif des trois guitaristes de la formation, Rhys Williams, Joseph Stone et, bien entendu, Edwards lui-même.

Cette fois-ci, Ulrika Spacek délaisse le rock psychédélique et le shoegaze dans les vapes, qui caractérisaient le précédent effort, pour plonger dans le rock motorik, le post-punk et, par moments, la noise pop. En fait, Compact Trauma est un enchaînement réussi de revirements sonores, parfois bruts, qui forcent l’admiration.

Pour vous donner une idée du travail d’orfèvre réalisé par Edwards et ses acolytes, il s’agit de prêter une attention particulière à l’introduction de The Sheer Drop pour se laisser aisément convaincre. La pièce s’amorce avec un subtil glissement de guitare qui se transmute en une série invraisemblable de cliquetis électroniques. À la mi-parcours, un riff incroyablement accrocheur fait son apparition pour ne plus nous lâcher jusqu’à la fin.

Parmi les autres moments marquants de ce Compact Trauma, on salue It Will Come Sometime; une sorte de bossa-nova désarticulée. Diskbänksrealism est un amalgame de noise pop et de krautock auréolé d’une finale que n’aurait pas renié Deerhunter. If The Wheels Are Coming Off, The Wheels Are Coming Off est magnifiquement crade. Le motif répétitif et hypnotique de la pièce-titre nous propulse dans un univers contemplatif et l’album se conclut avec un morceau plus apaisé, No Design.

Le morceau incontournable de ce Compact Trauma est sans contredit Stuck at the Door; une ballade labyrinthique d’une durée de onze minutes qui nous escorte lentement dans un univers « cannabisant » évoquant à la fois Sonic Youth et Stereolab.

Même si ce nouveau long format d’Ulrika Spacek emprunte fortement aux codes de la noise rock états-unienne des années 90, le quintette l’élève à un niveau supérieur avec ses structures tortueuses et ses alliages « guitaristiques » inventifs. Si vous êtes des admirateurs finis de Sonic Youth et de Deerhunter, il vous sera impossible de résister à ce Compact Trauma; l’un des meilleurs albums de guitares parus ces dernières années.