Tyler The Creator
CALL ME IF YOU GET LOST
- Columbia Records
- 2021
- 53 minutes
Chaque album de Tyler The Creator possède sa propre facture auditive et approche le tout avec un angle particulier. Sur Igor, c’était l’homme sensible qui continuait de prendre une place importante. Il laissait de côté le rap pour se concentrer sur un R&B et des créations qui tendaient vers la mélodie pop, mais en refusant de se confiner aux limites établies par le genre.
Deux ans plus tard, parce que Tyler The Creator est régulier comme l’horloge, comme nous l’avons statué précédemment, il revient avec CALL ME IF YOU GET LOST. Un album qui est animé par le personnage de Sir Baudelaire, une version de lui qui oscille entre la colère et le romantisme typique des dernières créations. Il se passe la même chose avec la forme alors que l’Américain oscille entre le rap caractéristique de l’ère WOLF et les créations plus R&B des dernières années.
Ce qui est plaisant pour les fans de la première heure est le retour des solides lignes qui étaient caractéristiques des premiers textes de Tyler The Creator.
Two, four, five hundred stacks for the hood (I dare you, nigga)
Call me lumbеrjack ’cause I wish a nigga would race (Uh-huh, right)— LUMBERJACK
Les jeux de mots de la sorte qui joue à la fois sur le sens, la poésie et la sonorité sont légion sur CALL ME IF YOU GET LOST. Tyler The Creator émet même des commentaires par rapport à son propre choix de terme disant qu’il n’aime même pas le mot « bitch » à la fin de CORSO après avoir été assez vulgaire en racontant qu’il a tenté de « voler » la blonde de quelqu’un d’autre. Les contradictions typiques du rappeur y sont utilisées pour semer la confusion comme si Tyler The Creator jouait à balancer sa personnalité entre le jeune rappeur qui usait de vulgarité pour choquer et le rappeur plus mature qui a délaissé le côté tape-à-l’oeil. En ce sens, ça rejoint la personnalité de Baudelaire qui a passé sa vie à choquer ses contemporains, parfois intentionnellement.
Turn the fuckin’ noise up, ah, nigga, my heart broken
Remember I was rich so I bought me some new emotions
And a new boat ’cause I rather cry in the ocean
It’s T, baby, uh— CORSO
Et malgré le retour salué des rimes rapides et ingénieuses de Tyler The Creator, on y retrouve tout de même aussi des pièces axées sur les mélodies caractéristiques des deux derniers albums comme l’excellente WUSYANAME sur laquelle Ty Dolla $ign et YoungBoy Never Broke Again participent. Même son de cloche du côté de SWEET / I TOUGHT YOU WANTED TO DANCE qui atteint une longueur de 9 minutes 48 secondes. C’est aussi le cas de WILSHIRE qui oscille le 8 minutes et demi. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’on s’ennuie. La première est très mélodieuse et la seconde offre encore un bon moment de rap qui coule naturellement.
MANIFESTO est un des rares textes qui abordent la délicate position dans laquelle se retrouvent les artistes noirs : constamment obligé de se définir ainsi, tout en étant très conscient que l’Histoire heurte. Il aborde du même coup ses textes qui sont aujourd’hui considérés comme problématiques. C’est vrai qu’il est un peu fou de creuser toujours dans le passé des autres pour trouver ce moment de toxicité et l’élever en condition constante. Le texte réussit à bien décrire les nombreuses contradictions qui l’habitent.
Tyler The Creator prouve encore une fois avec CALL ME IF YOU GET LOST qu’il a toujours deux ou trois coups d’avance sur le reste de l’industrie. De plus, il est assez brillant pour faire une introspection en public en utilisant ses propres mots et en naviguant à travers les contradictions qui habitent presque tout le monde. Le tout est fait avec un talent indiscutable pour la mélodie et une maîtrise du langage hors pair. Pas de doute, Tyler The Creator est l’un des artistes les plus brillants de sa génération.