The Smile a frappé un grand coup il y a deux ans avec son premier album A Light for Attracting Attention. Mené par Thom Yorke et Jonny Greenwood de Radiohead, le groupe a touché une corde sensible chez les mélomanes qui s’ennuyaient d’un son plus rock à la Hail to the Thief. Or, voilà que la formation est déjà de retour avec le splendide Wall of Eyes, qui explore un territoire encore plus vaste.

La constellation musicale qui opère autour de Radiohead est si vaste qu’il est facile de s’y perdre. Entre les projets solos du guitariste Ed O’Brien et du batteur Phil Selway (surtout tournés vers la chanson), les expérimentations électroniques de Thom Yorke et les bandes sonores de Jonny Greenwood, disons que les membres du groupe n’ont pas chômé au cours des 20 dernières années. Une œuvre collective certes foisonnante et riche, mais qui demeure forcément un peu inégale par moments, et qui a toujours souffert des comparaisons avec le navire amiral qu’est Radiohead.

Or, le premier disque de The Smile a été accueilli comme le parfait succédané à la musique du célèbre groupe, avec ses chansons aux structures denses et complexes, mais portées par un souci mélodique dont seul Thom Yorke a le secret. Sans renier leur penchant pour les expérimentations électroniques, Yorke et Greenwood ont su mettre l’accent sur l’énergie rythmique des morceaux, avec des influences post-punk, aidés en cela par l’excellent jeu du batteur Tom Skinner, déjà rompu aux métriques savantes du jazz et qui s’est révélé être un parfait complément ici.

Il aurait été logique que le trio s’en tienne à cette même recette ayant fait ses preuves sur ce deuxième long jeu, surtout compte tenu du temps de gestation plutôt court entre les deux albums (moins de deux ans), et alors que The Smile a passé une bonne partie des deux dernières années sur la route. Mais à l’image de Radiohead qui n’a jamais fait de surplace lors de sa carrière, Yorke, Greenwood et Skinner ont décidé d’aller ailleurs sur Wall of Eyes, privilégiant les ambiances un peu plus intérieures, un son davantage en retenue et une plus grande variété dans le style.

Dès la pièce-titre en ouverture, il est clair que The Smile a voulu élargir son terrain de jeu avec des accords de guitare acoustique de type bossa nova et la voix de fausset de Yorke qui s’élève doucement au-dessus de la mêlée. On y retrouve également de magnifiques orchestrations qui portent la griffe de Greenwood et de son travail pour les films de Paul Thomas Anderson (There Will Be Blood, The Master, etc.)  Le trio enchaîne avec la superbe Teleharmonic et sa rythmique robotique qui évoque un petit côté prog ou les longues expérimentations krautrock de CAN. C’est un des titres les plus réussis sur le disque, avec une irrésistible montée d’intensité.

Les autres moments forts incluent la puissante Read the Room, qui alterne entre des couplets hypnotiques dominés par le jeu de Skinner et un refrain soutenu par des arpèges à la guitare acoustique; la mystérieuse Under Our Pillows, presque math-rock avec sa mélodie saccadée; et la monumentale Bending Hectic, d’une durée de huit minutes, qui s’apparente à une descente vers l’abîme exprimée tant par le crescendo dans la musique que par les paroles :

The ground is coming for me now
We’ve gone over the edge
If you’ve got something to say
Say it now

– Bending Hectic

La grande qualité d’un album comme A Light for Attracting Attention était son côté instantanément satisfaisant, comme si on retrouvait un groupe que l’on connaissait déjà et qui nous avait tant manqué. Wall of Eyes s’insinue plus lentement dans nos oreilles, tandis qu’on prend le temps d’assimiler ses différentes couleurs, ses longues montées d’intensité, sa richesse orchestrale (somptueuse I Quit) et son approche plus exploratoire. À long terme toutefois, je pense qu’on réalisera que ce deuxième album de The Smile est supérieur au premier, ce qui est tout un exploit.