Critiques

Taylor Swift

Midnights

  • Republic Records
  • 2022
  • 44 minutes
8,5
Le meilleur de lca

Forte du succès engendré par son passage dans le monde indie folk, Taylor Swift est de retour avec un album aux sonorités pop synthétiques qui saura charmer tant ses fans les plus fidèles que les nouveaux convertis. Passée reine dans l’art de gérer son image de marque, Swift propose cette fois-ci Midnights, un album concept dans lequel elle retrace l’histoire de treize nuits blanches. En nous faisant entrer dans la tête d’une sommité dont la vie personnelle est hypermédiatisée, Midnights s’amuse à visiter les histoires et les rumeurs qui circulent au sujet de son autrice. Swift entend ce qui se dit à son égard, et plutôt que de se tenir loin des murmures, elle saute dans la tempête à pied joint, faisant de ces narratifs les siens.  

L’album s’ouvre avec Lavander Haze, une chanson qui évoque le désir d’encapsuler le bonheur sans mélange de sa relation amoureuse. Ici, Swift fait écho à son copain de longue date, l’acteur Joe Alwyn. D’une voix entêtée, elle dénonce l’attitude intrusive qu’adoptent certaines personnes vis-à-vis leur union:

All they keep asking me
Is if I’m gonna be your bride
The only kinda girl they see
Is a one night or a wife

– Lavender Haze

Avec cette première pièce, Swift fait d’une pierre deux coups : elle adresse en ses termes les rumeurs de fiançailles qui circulent à son sujet et lance une flèche aux détracteurs qui la rabaissait lorsqu’elle (horreur!) fréquentait différents hommes dans sa vingtaine.

Maroon fait référence à l’ère Red (2012) dans laquelle Swift utilisait la symbolique de la couleur rouge pour évoquer l’intensité de sa relation. Ici, la chanteuse fait l’analyse des liens de dépendance qui ont défini cette idylle. Les synthétiseurs du producteur Jack Antonoff, qui a co-réalisé l’entièreté de l’album, créent un effet de ralenti enivrant, mais les paroles sont compressées de manière tellement serrée qu’on ressort de la première écoute un peu étourdie.

Les épisodes d’introspection nocturnes se poursuivent avec Anti-Hero, une analyse d’image névrotique dans laquelle la chanteuse navigue dans les eaux troubles de sa célébrité. Né d’un sentiment de dissociation, le texte renvoie à l’idée que le personnage public de Swift est si imposant que les gens oublient parfois qu’elle est humaine.

You’re On Your Own, Kid utilise un rythme percussif doux et pulsé pour méditer sur la naïveté de l’autrice-compositrice-interprète. En conversation avec elle-même, Swift repense à tout le mal qu’elle s’est infligé au nom de son succès. La frénésie exaltante du refrain nous entraîne dans un tourbillon de décharge émotionnelle où douleur et colère sont apposées sur une mélodie entraînante. Difficile de rester insensible devant des paroles aussi crues que dévastatrices.

Fidèle à elle-même, Tay-Tay réservait quelques surprises. Après la mise en ligne de Midnights, elle a dévoilé sept chansons supplémentaires, regroupées sur Midnights (3 am Edition). Parmi celles-ci, soulignons The Great War et Bigger Than the Whole Sky, deux pièces introspectives qui nous rappellent que Swift est d’abord et avant tout une conteuse hors pair. En fin de lecture, on tombe sur Would’ve, Could’ve, Should’ve, une autre chanson intensément autobiographique qui revisite sa relation avec le musicien John Mayer. Rappelons qu’à l’époque, elle n’avait que 19 ans et lui, 32. Dans un texte poignant, la jeune femme dénonce le déséquilibre de pouvoir qui régnait dans leur liaison :

And if I was some paint, did it splatter

On a promising grown man?

And if I was a child, did it matter

If you got to wash your hands

– Would’ve, Could’ve, Should’ve

Ici, l’autrice fait allusion au fait qu’on l’accusait de « tacher » la réputation de cet homme plus âgé. Ne faisant preuve d’aucune retenue, elle reproche à son ex d’avoir profité de son innocence.

J’aime particulièrement cette pièce puisqu’elle illustre ce que Taylor Swift représente à bien des égards; une jeune femme dont l’industrie musicale (et le grand public) s’est fait un plaisir d’abuser pendant plusieurs années. Si Midnights revisite des thèmes précédemment abordés dans son œuvre — la peine d’amour, la célébrité, l’anxiété, la vengeance — force est d’admettre que d’entendre une femme dénoncer les situations complètement tordues auxquelles elle a dû se soustraire demeura toujours pertinent.

Sur le plan sonore, Midnights triomphe en revisitant des éléments de production qui avait desservi Swift par le passé. Les synthétiseurs hostiles de Reputation (2017) assument maintenant des sonorités plus détendues alors que les chœurs scintillants de Lover (2019) ont été estompés pour laisser place à un discours plus cru. Bref, Swift est en pleine possession de ses moyens. En analysant des épisodes marquants de sa jeunesse sous des angles différents, la détentrice de onze prix Grammy rappelle que même si sa notoriété comporte son lot d’histoires et de légendes, elle reste au fond une jeune femme habitée par des souvenirs douloureux, toujours prêts à resurgir aux douze coups de minuit.

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